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L’ÉCLAT D’OBUS

nettement le visage, éclairé par la veilleuse, c’était…

« Oh ! je n’écrirai pas un pareil blasphème ! Cette femme eût été près de moi, agenouillée, priant, et j’aurais aperçu un doux visage qui sourît dans ses larmes, non, je n’aurais pas tremblé devant cette vision inattendue de celle qui est morte. Mais cette expression convulsée, atroce de haine et de méchanceté, sauvage, infernale… aucun spectacle au monde ne pouvait déchaîner en moi plus d’épouvante. Et c’est pour cela peut-être, pour ce qu’un tel spectacle avait d’excessif et de surnaturel, c’est pour cela que je ne criai point et que maintenant je suis presque calme. Au moment même où mes yeux regardaient, j’avais déjà compris que j’étais la proie d’un cauchemar.

« Maman, maman, tu n’as jamais eu et tu ne peux pas avoir cette expression-là, n’est-ce pas ? Tu étais bonne, n’est-ce pas ? Tu souriais ? Et si tu vivais encore tu aurais toujours le même air de bonté et de douceur ? Maman chérie, depuis le soir affreux où Paul a reconnu ton portrait, je suis entrée bien souvent dans cette chambre, pour apprendre ton visage de mère, que j’avais oublié — j’étais si jeune quand tu es morte, maman ! — et si je souffrais que le peintre t’eût donné une expression différente de celle que j’aurais voulue, du moins ce n’était pas l’expression méchante et féroce de tout à l’heure. Pourquoi me haïrais-tu ? Je suis ta fille. Père m’a dit souvent que nous avions le même sourire, toi et moi, et aussi qu’en me regardant tes yeux se mouillaient de tendresse. Alors… alors… tu ne me détestes pas, n’est-ce pas ? et j’ai bien rêvé ?