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L’ÉCLAT D’OBUS
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et d’empereur, ne connaissent de la guerre que ses grandeurs et que ses beautés tragiques, et jamais rien des angoisses qui torturent les pauvres gens. Ils souffrent moralement dans l’effroi du châtiment qui les guette, mais non point physiquement dans leur chair et dans la chair de leur chair. Les autres meurent. Eux, ils continuent à vivre. Et alors que j’ai cette occasion unique d’en tenir un, alors que je pourrais me venger de lui et de ses complices, l’exécuter froidement comme ils exécutent nos sœurs et nos femmes, tu trouves extraordinaire que je lui fasse connaître pendant dix minutes le frisson de la mort ! Non, mais c’est-à-dire qu’en bonne justice humaine et logique j’aurais dû lui infliger un minimum de supplice qu’il n’aurait jamais oublié. Lui couper une oreille, par exemple, ou le bout du nez.

— Tu as mille fois raison, dit Paul.

— Tu vois, j’aurais dû lui couper le bout du nez ! Tu es de mon avis ! Combien je regrette ! Et moi, imbécile, je me suis contenté d’une misérable leçon dont il ne se souviendra même plus demain. Quelle poire je suis ! Enfin, ce qui me console, c’est que j’ai pris une photographie qui constitue le plus inestimable des documents… la tête d’un Hohenzollern en face de la mort. Non, mais l’as-tu vue, cette tête !…

L’auto traversait le village d’Ornequin. Il était désert. Les barbares avaient brûlé toutes les maisons et emmené tous les habitants, comme on chasse devant soi des troupeaux d’esclaves.

Cependant ils aperçurent assis parmi les décombres un homme en haillons, un vieillard.