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Page:Leblanc - L’Éclat d’obus, 1923.djvu/38

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vement ne laissait prévoir une attaque ennemie de ce côté. »

Mardi 11 août.

« Tantôt, un soldat, de faction dans les bois, près de la petite porte qui donne sur la campagne, a été tué d’un coup de couteau. On suppose qu’il aura voulu barrer le passage à un individu qui cherchait à sortir du parc. Mais comment cet individu était-il entré ? »

Mercredi 12 août.

« Qu’y a-t-il ? Voici un fait qui m’a vivement impressionnée et qui me semble inexplicable. Du reste il y en a d’autres qui sont aussi déconcertants, bien que je ne saurais dire pourquoi. Je suis très étonnée que le capitaine et que tous les soldats que je rencontre paraissent insouciants à ce point et puissent même plaisanter entre eux. Moi j’éprouve cette impression qui vous accable à rapproche des orages. C’est sans doute un état nerveux. « Donc ce matin… »

Paul s’interrompit. Tout le bas de la page où ces lignes étaient écrites, ainsi que la page suivante, étaient arrachées. Devait-on en conclure que le major, après avoir dérobé le journal d’Elisabeth, en avait extrait, pour des motifs quelconques, les pages où la jeune femme donnait certaines explications ? Et le journal reprenait :

Vendredi 14 août.

« Je n’ai pu faire autrement que de me confier au capitaine. Je l’ai conduit près de l’arbre mort, entouré de lierre, et je l’ai prié de s’étendre et d’écouter. Il a mis beaucoup de patience et d’attention dans son examen. Mais il n’a rien entendu, et, de fait, recommençant l’expérience à mon tour, j’ai dû reconnaître qu’il avait raison.

« – Vous voyez, madame, tout est absolument normal.

« – Mon capitaine, je vous jure qu’avant-hier il sortait de cet arbre-là, à cet endroit précis, un bruit confus. El cela a duré plusieurs minutes.

« Il m’a répondu, non sans sourire un peu :

« – Il serait facile de faire abattre cet arbre. Mais ne pensez-vous pas, madame, que, dans l’état de tension nerveuse où nous sommes tous, nous puissions être sujets à certaines erreurs, à des sortes d’hallucinations ? Car enfin d’où proviendrait ce bruit ?…

« Oui, évidemment, il avait raison. Et cependant, j’ai entendu… J’ai vu… »

Samedi 15 août.

« Hier soir, on a ramené deux officiers allemands qui furent enfermés dans la buanderie, au bout des communs.

« Ce matin, on n’a plus retrouvé dans cette buanderie que leurs uniformes.

« Qu’ils aient fracturé la porte, soit. Mais l’enquête du capitaine a montré qu’ils s’étaient enfuis, revêtus d’uniformes français, et qu’ils avaient passé devant les sentinelles en se disant chargés d’une mission à Corvigny.

« Qui leur a fourni ces uniformes ? Bien plus, il leur a fallu connaître le mot d’ordre… Qui leur a révélé ce mot d’ordre ?…

« Il paraît qu’une paysanne est venue plusieurs jours de suite apporter des œufs et du lait, une paysanne habillée un peu trop bien et que l’on n’a pas revue aujourd’hui… Mais rien ne prouve sa complicité. »

Dimanche 16 août.

« Le capitaine m’a engagée vivement à partir. Il ne sourit plus, maintenant. Il semble très préoccupé.

« – Nous sommes environnés d’espions, m’a-t-il dit. En outre, il y a des signes qui nous portent à croire que nous pourrions être attaqués d’ici peu. Non pas une grosse attaque, ayant pour but de forcer le passage à Corvigny, mais un coup de main sur le château. Mon devoir est de vous prévenir, madame, que d’un moment à l’autre, nous pouvons être contraints de nous replier sur Corvigny et qu’il serait pour vous plus qu’imprudent de rester.

« J’ai répondu au capitaine que rien ne changerait ma résolution.

« Jérôme et Rosalie m’ont suppliée également. À quoi bon ? Je ne partirai pas. »

Une fois encore, Paul s’arrêta. Il y avait, à cet endroit de l’agenda, une page de moins, et la suivante, celle du 18 août, déchirée au commencement et à la fin, ne donnait qu’un fragment du journal écrit par la jeune femme à cette date :

« … et c’est la raison pour laquelle je n’en ai pas parlé dans la lettre que je viens d’envoyer à Paul. Il saura que je reste à Ornequin, et les motifs de ma décision, voilà tout. Mais il doit ignorer mon espoir.

« Il est encore si confus, cet espoir, et bâti sur un détail si insignifiant ! Néanmoins, je suis pleine de joie. Je ne comprends pas la signification de ce détail, et, malgré moi, je sens son importance. Ah ! le capitaine peut bien s’agiter et multiplier les patrouilles, tous ses soldats visiter leurs armes et crier leur envie de se battre. L’ennemi peut bien s’installer à Ebrecourt, comme on le dit ! Que m’importe ? Une seule idée compte ! Ai-je trouvé le point de départ ? Suis-je sur la bonne route ?

« Voyons, réfléchissons… »

La page était déchirée là, à l’endroit où Elisabeth allait entrer dans des explications précises. Était-ce une mesure prise par le major Hermann ? Sans aucun doute, mais pourquoi ?

Déchirée également, la première moitié de la page du mercredi 19 août. Le 19 août, veille du jour où les Allemands avaient emporté d’assaut Ornequin, Corvigny et toute la région… Quelles lignes avait tracées la jeune femme en cet après-midi du mercredi ?