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Page:Leblanc - L’Éclat d’obus, 1923.djvu/49

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en pleine figure, il trouva un portefeuille au nom de Rosenthal, qui contenait des billets de banque français et belges et un paquet de lettres timbrées d’Espagne, de Hollande et de Suisse. Les lettres, toutes écrites en allemand, avaient été adressées à un agent d’Allemagne résidant en France, dont le nom ne paraissait pas, et transmises par lui au soldat Rosenthal sur lequel Paul les découvrait. Ce soldat devait les communiquer, ainsi qu’une photographie, à une troisième personne désignée sous le nom d’Excellence.

« Service d’espionnage, se dit Paul en les parcourant… Renseignements confidentiels… Statistiques… Quelle race de coquins ! »

Mais, ayant ouvert de nouveau le portefeuille, il en sortit une enveloppe qu’il déchira. Dans cette enveloppe il y avait une photographie, et la surprise de Paul fut si grande en regardant cette photographie qu’il poussa un cri.

Elle représentait la femme dont il avait vu le portrait dans la chambre close d’Ornequin, la même femme, avec le même fichu de dentelle arrangé de façon identique, et avec cette même expression dont le sourire ne masquait pas la dureté. Et, cette femme, n’était-ce pas la comtesse Hermine d’Andeville, la mère d’Elisabeth et de Bernard ?

L’épreuve portait la marque de Berlin. L’ayant retournée, Paul aperçut une chose qui augmenta sa stupeur. Quelques mots y étaient inscrits : À Stéphane d’Andeville, 1902.

Stéphane, c’était le prénom du comte d’Andeville !

Ainsi donc la photographie avait été envoyée de Berlin au père d’Elisabeth et de Bernard en 1902, c’est-à-dire quatre ans après la mort de la comtesse Hermine. De telle sorte qu’on se trouvait en face de deux solutions : ou bien la photographie, prise avant la mort de la comtesse Hermine, portait la date de l’année où le comte l’avait reçue, ou bien la comtesse Hermine vivait encore…

Et, malgré lui, Paul songeait au major Hermann, dont cette image, pareillement au portrait de la chambre close, évoquait le souvenir en son esprit troublé, Hermann ! Hermine ! Et voilà maintenant que l’image d’Hermine il la découvrait sur le cadavre d’un espion allemand, aux bords de cet Yser où devait rôder le chef d’espionnage qu’était certainement le major Hermann !

– Paul ! Paul !

C’était son beau-frère qui l’appelait. Paul se redressa vivement, cacha la photographie, bien résolu à n’en point parler, et monta jusqu’à la trappe.

– Eh bien, Bernard, qu’y a-t-il ?

– Une petite troupe de Boches. J’ai cru d’abord qu’il s’agissait d’une patrouille, qu’on relevait les postes, et qu’ils resteraient de l’autre côté. Mais non. Ils ont détaché deux barques et ils franchissent le canal.

– En effet, je les entends.

– Si on tirait dessus ? proposa Bernard.

– Non, ce serait donner l’alarme. Il est préférable de les observer. C’est d’ailleurs notre mission.

Mais, à ce moment, il y eut un léger coup de sifflet qui provenait du chemin de halage, que Bernard et Paul avaient suivi. On répondit, de la barque, par un coup de sifflet de même nature.

Deux autres signaux furent échangés à intervalles réguliers.

Une horloge d’église sonna minuit.

– Un rendez-vous, supposa Paul. Cela devient intéressant. Viens. J’ai remarqué, en bas, un endroit où je pense qu’on peut se mettre à l’abri de toute surprise.

C’était une arrière-cave, séparée de la première par un bloc de maçonnerie dans lequel il y avait une brèche qu’il leur fut aisé de franchir. Rapidement ils remplirent cette brèche avec des pierres tombées de la voûte et des murs.

Ils avaient à peine fini qu’un bruit de pas retentit au-dessus d’eux et que des mots allemands leur parvinrent. La troupe ennemie devait être assez nombreuse. Bernard engagea l’extrémité de son fusil dans une des meurtrières que formait leur barricade.

– Qu’est-ce que tu fais ? demanda Paul.

– Et s’ils viennent ? Je m’apprête. Nous pouvons soutenir un siège en règle.

– Pas de bêtises, Bernard. Écoutons. Peut-être pourrons-nous surprendre quelques mots.

– Toi, peut-être, Paul, mais moi qui ne comprends pas une syllabe d’allemand…

Une lueur violente inonda la cave. Un soldat descendit et accrocha une grosse lampe à un clou du mur. Une douzaine d’hommes le rejoignirent et les deux beaux-frères furent aussitôt renseignés. Ces hommes étaient venus pour enlever les morts.

Ce ne fut pas long. Au bout de quinze minutes, il ne restait plus dans la cave qu’un cadavre, celui de l’agent Rosenthal. En haut, une voix impérieuse commanda :

– Restez-là, vous autres, et attendez-nous. Et toi, Karl, descends le premier.

Quelqu’un apparut sur les échelons supérieurs. Paul et Bernard furent stupéfaits d’apercevoir un pantalon rouge, puis une capote bleue, enfin l’uniforme complet d’un soldat français. L’individu sauta à terre et cria :

– J’y suis. Excellence. À votre tour.

Ils virent alors le Belge Laschen, ou plutôt le soi-disant Belge qui se faisait appeler Laschen et qui comptait dans la section de Paul. Maintenant ils savaient d’où venaient les trois coups de fusil tirés sur eux. Le traître était là. Sous la lumière, ils distinguaient nettement son visage, le visage d’un homme de quarante ans, aux traits lourds et chargés de graisse, aux yeux bordés de rouge.

Il saisit les montants de l’échelle de façon à bien la caler. Un officier descendit prudemment, enveloppé dans un large manteau gris au col relevé.

Ils reconnurent le major Hermann.