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Page:Leblanc - L’Éclat d’obus, 1923.djvu/82

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toute une bande d’individus, terrés comme elle, et comme elle invisibles. Mais, son plan, je commence à le discerner, et j’ai sur elle un avantage, c’est qu’elle se croit en sécurité. Elle ignore la mort de son complice Karl. Elle ignore mon entrevue avec le Kaiser. Elle ignore la délivrance d’Elisabeth. Elle ignore notre présence ici. Je la tiens, l’abominable créature. Je la tiens.

Les nouvelles de la bataille, cependant, ne s’amélioraient pas.

Le mouvement de repli continuait sur la rive gauche. À Crouy, l’âpreté des pertes et l’épaisseur de la boue arrêtaient l’élan des Marocains. Un pont de bateaux, hâtivement construit, s’en allait à la dérive.

Lorsque Paul reparut, vers six heures du soir, un peu de sang dégouttait sur sa manche. Elisabeth s’effraya.

– Ce n’est rien, dit-il en riant. Une égratignure que je me suis faite, je ne sais où.

– Mais ta main, regarde ta main. Tu saignes !

– Non, ce n’est pas mon sang. Ne t’inquiète pas. Tout va bien.

Bernard lui dit :

– Tu sais que le général en chef est à Soissons depuis ce matin ?

– Oui, il paraît… Tant mieux. J’aimerais à lui offrir l’espionne et sa bande. Ce serait un beau cadeau.

Durant une heure encore il s’éloigna. Puis il revint et se fit servir à dîner.

– Maintenant, tu sembles sûr de ton fait, observa Bernard.

– Est-on jamais sûr ? Cette femme est le diable en personne.

– Mais tu connais son repaire ?

– Oui.

– Et tu attends quoi ?

– Neuf heures. Jusque-là, je me repose. Un peu avant neuf heures, réveillez-moi.

Le canon ne cessait de tonner dans la nuit lointaine. Parfois un obus tombait sur la ville avec un grand fracas. Des troupes passaient en tous sens. Puis il y avait des silences où tous les bruits de la guerre semblaient suspendus, et c’étaient ces minutes-là peut-être qui prenaient la signification la plus redoutable.

Paul s’éveilla de lui-même.

Il dit à sa femme et à Bernard :

– Vous savez, vous êtes de l’expédition. Ce sera dur, Elisabeth, très dur. Es-tu certaine de ne pas faiblir ?

– Oh ! Paul… Mais toi-même, comme tu es pâle !

– Oui, dit-il, un peu d’émotion. Non point à cause de ce qui va se passer… Mais, jusqu’au dernier moment, et malgré toutes les précautions prises, j’aurai peur que l’adversaire ne se dérobe…

– Cependant…

– Eh ! oui, une imprudence, un mauvais hasard qui donne l’éveil, et tout est à recommencer… Qu’est-ce que tu fais donc, Bernard ?

– Je prends mon revolver.

– Inutile.

– Quoi ! fit le jeune homme, on ne va donc pas se battre, dans ton expédition ?

Paul ne répondit pas. Selon son habitude, il ne s’exprimait qu’en agissant ou après avoir agi. Bernard prit son revolver.

Le dernier coup de neuf heures sonnait lorsqu’ils traversèrent la grand-place, parmi des ténèbres que trouait ça et là un mince rayon de lumière surgi d’une boutique close.

Au parvis de la cathédrale, dont ils sentirent au-dessus d’eux l’ombre géante, un groupe de soldats se massait.

Paul, ayant lancé sur eux le feu d’une lanterne électrique, dit à celui qui les commandait :

– Rien de nouveau, sergent ?

– Rien, mon lieutenant. Personne n’est entré dans la maison et personne n’en est sorti.

Le sergent siffla légèrement. Vers le milieu de la rue, deux hommes se détachèrent de l’obscurité qui les enveloppait et se rabattirent sur le groupe.

– Aucun bruit dans la maison ?

– Aucun, sergent.

– Aucune lumière derrière les volets ?

– Aucune, sergent.

Alors Paul se mit en marche, et, tandis que les autres, se conformant à ses instructions, le suivaient sans faire le moindre bruit, il avançait résolument, comme un promeneur attardé qui rejoint son domicile.

Ils s’arrêtèrent devant une étroite maison, dont on distinguait à peine le rez-de-chaussée dans le noir de la nuit. La porte s’élevait au haut de trois degrés. Paul la heurta quatre fois à petits coups En même temps il tira une clef de la poche et ouvrit.

Dans le vestibule il ralluma sa lanterne électrique, et, ses compagnons observant toujours le même silence, il se dirigea vers une glace qui partait des dalles mêmes du vestibule.

Après avoir frappé cette glace de quatre petits coups, il la poussa en appuyant sur le côté. Elle masquait l’orifice d’un escalier qui descendait au sous-sol et dans la cage duquel il envoya aussitôt de la lumière.

Cela devait être un signal, le troisième signal convenu, car d’en bas une voix, une voix féminine, mais rauque, éraillée, demanda :

– C’est vous, père Walter ?

Le moment était venu d’agir. Sans répondre, Paul dégringola l’escalier en quelques bonds.

Il arriva juste à l’instant où une porte massive se refermait et où l’accès de la cave allait être barré.

Une pesée violente… Il entra.

La comtesse Hermine était là, dans la pénombre, immobile, hésitante.

Puis, soudain, elle courut à l’autre bout de la cave, saisit un revolver sur une table, se retourna et tira.

Le ressort claqua. Mais il n’y eut aucune détonation.