Elles étaient toutes deux trop loin — peut-être sept à huit cents mètres — pour qu’on pût discerner les visages. Mais aucun bruit de voix ne montait de ces lourdes coques charges de misère, qui fuyaient devant la mort.
« Mon Dieu ! mon Dieu ! qu’ils sortent de l’enfer !
— Que pouvez-vous craindre, Honorine ? Rien ne les menace.
— Si, tant qu’ils n’auront pas quitté l’île.
— Mais ils l’ont quittée.
— Tout autour de l’île, c’est encore l’île. C’est là que guettent les cercueils.
— Mais la mer n’est pas mauvaise.
— Il y a autre chose que la mer… ce n’est pas la mer qui est l’ennemie.
— Alors, quoi ?
— Je ne sais pas… je ne sais pas… »
Les deux barques montaient vers la pointe du nord. Deux passes s’ouvraient à elles, que la Bretonne désigna d’après le nom de deux écueils, le Roc au Diable et la Dent de Sarek.
Presque aussitôt, il fut visible que Corréjou avait choisi la passe du Diable.
« Ils l’atteignent, notait la Bretonne. Ils y sont… Cent mètres encore, et c’est le salut…
Elle eut presque un ricanement.
« Ah ! toutes les machinations du diable vont être déjouées, madame Véronique, je crois bien que nous serons sauvées, vous et moi, et tous ceux de Sarek. »
Véronique demeura silencieuse. Son oppression continuait, d’autant plus accablante qu’elle ne pouvait l’attribuer qu’à ces vagues pressentiments qu’il est impossible de combattre. Elle avait fixé une ligne en deçà de laquelle le danger persistait, et cette ligne, Corréjou l’avait pas encore atteinte.
Honorine grelottait de fièvre. Elle marmotta :
« J’ai peur… j’ai peur…
— Mais non, déclara Véronique, en se raidissant. C’est absurde. D’où peut venir le danger ?