Page:Leblanc - L’Île aux trente cercueils.djvu/77

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ment ne vous ont-ils pas tuée ?… Depuis que les autres ont pris la fuite, ils sont les maîtres de Sarek… Et c’est à notre tour… Voilà six jours que nous sommes là, enfermées… tenez, c’était le matin du départ… On faisait ses paquets pour s’en aller sur les barques… Toutes trois nous sommes venues ici, dans cette buanderie, prendre notre linge qui séchait. Et ils sont venus… on ne les a pas entendus… on ne les entend jamais… Et puis, tout à coup, la porte a été fermée… un seul claquement, un tour de clef, et ça y était… On avait des pommes, du pain, de l’eau-de-vie surtout… On n’a pas trop souffert… Seulement, allaient-ils revenir et nous tuer ? Était-ce notre tour ? Ah ! ma bonne dame, ce qu’on a tendu l’oreille ! et ce qu’on tremblait de peur ! L’aînée est devenue folle… Écoutez-là… elle divague… L’autre, Clémence, n’en peut plus… Et moi… moi… Gertrude… » Elle avait encore de la force, car elle tordit le bras de Véronique.

« Et Corréjou ? Il est revenu, n’est-ce pas ? et reparti ? Pourquoi ne nous a-t-on pas cherchées ?… C’était pas difficile… On savait bien où nous étions, et, au moindre bruit, nous appelions… Alors ?… Alors ?… »

Véronique hésitait à répondre. Cependant, pour quelle raison eût-elle cachée la vérité ?

Elle déclara :

« Les deux barques ont coulé.

— Quoi ?

— Les deux barques ont coulé en vue de Sarek. Tous ceux qui les montaient sont morts… C’était en face du Prieuré… au sortir de la passe du Diable. »

Véronique n’en dit pas davantage, évitant de prononcer les noms et d’expliquer le rôle de François et de son professeur. Mais Clémence s’était dressée, le visage décomposé. Elle aussi, appuyée contre la porte, se relevait sur les genoux.

Gertrude murmura :

«  Et Honorine ?

— Honorine est morte.

— Morte ! »