Page:Leblanc - L’Île aux trente cercueils.djvu/78

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Les deux sœurs crièrent cela à la fois. Puis elles se turent et se regardèrent. La même pensée les frappait. Elles semblaient réfléchir. Gertrude eut un mouvement de doigts comme une personne qui calcule. Et, sur les deux figures, l’épouvante croissait.

Tout bas, comme étranglée par la peur, Gertrude articula, les yeux fixés aux yeux de Véronique.

« Voilà… voilà… le compte y est… Savez-vous combien ils étaient sur les barques, sans mes sœurs et moi ? Savez-vous ? Vingt… Alors, calculez… Vingt, et puis Maguennoc qui est mort le premier… et puis M. Antoine qui est mort après… et puis le petit François et M. Stéphane qui ont disparu, mais qui sont morts aussi, et puis Honorine et Marie Le Goff qui sont mortes… Alors, calculez… ça fait vingt-six… vingt-six… le compte y est bien, n’est-ce pas ? vingt-six ôtés de trente… Vous comprenez, n’est-ce pas ? les trente cercueils, il faut bien les remplir… alors vingt-six ôtés de trente… reste quatre… n’est-ce pas ?

Elle ne pouvait plus parler, sa langue s’embarrassait. Pourtant les syllabes terribles sortirent de sa bouche, et Véronique l’entendit qui balbutiait :

« Hein ? Vous comprenez ?… reste quatre… nous quatre… les trois sœurs Archignat qu’on a retenues et enfermées… et puis vous… Alors, n’est-ce pas ? les quatre croix… vous savez bien ? quatre femmes en croix… le compte y est… c’est nous quatre… il n’y a plus que nous dans l’île… quatre femmes… »

Véronique écoutait en silence… Une petite sueur mouillait sa peau.

Elle haussa les épaules.

« Eh bien, et après ? s’il n’y a plus que nous dans l’île, que craignez-vous ?

Eux donc ! eux  !

Elle s’impatienta.

— Mais puisque tout le monde est parti !

Gertrude s’effara :

— Parlez bas. S’ils vous entendaient !

— Mais qui ?

Eux… ceux d’autrefois…