Page:Leblanc - L’Île aux trente cercueils.djvu/97

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détails dont elle ne se souvenait même pas elle-même, ou qu’elle se croyait seule à connaître.

« …Un jour, aux Tuileries, — elle avait seize ans, — un cercle s’est formé autour d’elle… des gens qui la regardaient et qui s’étonnaient de sa beauté. Ses amies riaient, heureuses qu’on l’admirât…

« …Tu ouvriras sa main droite, François. Il y a là, au milieu de la paume, une longue cicatrice blanche. Toute petite fille, elle s’est percé la main avec la pointe en fer d’une grille… »

Mais les dernières pages n’avaient pas été écrites pour l’enfant ni certainement lues par lui. L’amour ne s’y déguisait plus sous des phrases d’admiration, se montrait sans réserve, brûlant, exalté, douloureux, frissonnant d’espoir, bien que toujours respectueux.

Véronique ferma le registre. Elle ne pouvait plus lire.

« Oui, oui, je l’avoue, Tout-Va-Bien, murmura-t-elle, tandis que le chien faisait déjà le beau, oui, mes yeux sont mouillés de larmes. Si peu femme que je sois, je te dis à toi ce que je ne dirais à personne, je suis toute remuée. Oui, je cherche à évoquer le visage inconnu de celui qui m’aime ainsi… Quelque ami d’enfance dont je n’aurai pas soupçonné l’amour discret, et dont le nom lui-même n’a pas laissé de trace dans mon souvenir…  »

Elle attira le chien contre elle.

« Deux bons cœurs, n’est-ce-pas, Tout-Va-Bien ? Pas plus le maître que l’élève ne sont coupables des crimes monstrueux que je les ai vus commettre. S’ils sont complices de nos ennemis d’ici, c’est malgré eux et sans le savoir. Je ne peux pas croire aux philtres, aux incantations, ni aux plantes qui font perdre la raison. Mais tout de même il y a quelque chose, n’est-ce pas, mon bon chien ? L’enfant qui cultivait les véroniques au Calvaire-Fleuri et qui inscrivait « la fleur de maman » n’est pas coupable, n’est-ce pas ? Et Honorine avait raison en parlant d’un accès de folie ? Et il reviendra me chercher, n’est-ce pas ? Stéphane et lui reviendront… ? »