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l’image de la femme nue

soudain, en proie à un nouveau caprice. Travaillant avec acharnement, mais par à-coups, il avait conquis la célébrité, d’une main brutale — selon ses habitudes de conquérant — en exposant au Salon de 1912 sa fameuse « Vénus Impudique ».

Combien Stéphane s’en souvenait, de la merveilleuse statue ! Guillaume Bréhange, après l’avoir créée loin de Paris, on ne savait où, l’avait ramenée dans son atelier, à l’abri de tous les regards. Une fois achevé, le marbre était resté durant des mois caché par un rideau et enveloppé d’une toile. Nul n’était admis à le contempler. Et puis, un jour, il se décidait à l’exposer au Salon, où ce fut, aussitôt, le triomphe.

« La Vénus Impudique »… Son père l’avait conduit devant elle, lui frayant un passage parmi les groupes enthousiasmés. Stéphane, qui n’était alors âgé que de dix ans, ne devait jamais oublier, depuis, l’image de cette femme nue, toute blanche, qui s’était dressée soudain en face de lui. Mais pourquoi ce nom d’impudique ? Il avait consulté son dictionnaire :

« Impudique : qui fait des actions contraires à la pudicité. »

Explication bien vague. Et cette phrase de Bourdaloue, citée en exemple, n’éclaira guère l’enfant qu’il était : « Où est l’impudique qui ne met pas son bonheur dans ses infâmes voluptés ? »

Il avait lu tous les articles de journaux où on célébrait le chef-d’œuvre, et même découpé certains d’entre eux qu’il jetait pêle-mêle dans un tiroir avec des photographies de la statue. Et il se rappelait fort bien en avoir parlé à sa mère, la suppliant de le conduire une fois encore au Salon. Mais c’était là un souvenir pénible, car sa mère avait pleuré. Et toute cette époque, d’ailleurs, quand il l’évoquait, lui représentait sa mère, étendue, malade, les yeux rouges, l’embrassant et lui disant tout bas des choses qu’il ne comprenait point. De sorte que, en fin de compte, les deux souvenirs se mêlaient, opposés l’un à l’autre, celui de la statue impudique, et celui de cette mère, douce et aimante, qui pleurait.

Et puis, soudain, un double coup de théâtre avait donné, à la gloire de Guillaume Bréhange, ce côté de scandale qui est, du vivant de l’artiste, une consécration souvent plus décisive que le génie.

Aux derniers jours de l’Exposition, devant la Vénus, une altercation se produisait entre un monsieur et Guillaume Bréhange. Le monsieur, dans un accès de colère, de démence même, au dire des témoins, tira un coup de revolver qui atteignait la statue à l’épaule droite, puis, tournant l’arme vers lui-même, se brûlait la cervelle.

Dans sa poche, on trouva des cartes de visite au nom du prince