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Page:Leblanc - L’Image de la femme nue, 1934.djvu/12

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maurice leblanc

Wassilof. Mais qui était ce prince ? D’où sortait-il ? Il n’existait aucune famille Wassilof. Personne ne le réclama. On n’en sut jamais davantage.

Guillaume Bréhange déclara que ce monsieur, qui paraissait très agité, l’avait abordé sans se nommer et avait offert de lui acheter la statue à n’importe quel prix. Refus de Bréhange. Sur quoi, altercation et coups de revolver.

Et dix jours après, autre scandale, plus retentissant encore. La Vénus impudique fut enlevée.

Enlevée en plein jour, par les moyens les plus simples, et avec le succès le plus inexplicable. À la fermeture du Salon, dans le tumulte et dans l’encombrement des œuvres d’art que les déménageurs viennent chercher et emportent sur toutes sortes de véhicules, un camion s’était présenté une heure avant celui de la maison chargée par Guillaume du transport de sa statue. Un monsieur, ayant tous les papiers nécessaires, et accompagné de quatre gaillards, avait fait rouler marbre et piédestal jusqu’à la voiture, qui s’en était allée. Où ? L’enquête, si bien menée qu’elle fût, ne devait pas aboutir.

La vie, un moment suspendue, avait repris chez les Bréhange. Mais il sembla que le choc reçu par Guillaume l’eût profondément atteint. On aurait dit que son inspiration, tarie dans sa source la plus pure, le conduisait vers d’autres réalisations, bas-reliefs, sculptures plutôt architecturales, allégories, décorations des monuments aux Morts. Mais, dans son œuvre, pas un seul effort pour représenter la beauté féminine.

Le ménage se désunit de plus en plus. Guillaume avait pris un atelier dans un quartier lointain. Aventures mondaines, duels retentissants… on parlait souvent de lui. À peine si, de temps en temps, entre deux escapades, deux voyages, il revenait au logis conjugal. Sa dernière visite fut provoquée par une maladie plus grave de sa femme, que la souffrance morale avait épuisée. Il se trouvait là quand elle mourut. Stéphane avait dix-huit ans. Le père et le fils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre. Mais l’élan ne se renouvela pas. La victime était entre eux.

Deux ans après, au retour de son service militaire, Stéphane prit un appartement. Leurs relations ne devinrent jamais plus cordiales, et aucune intimité ne les réunit jamais. Lorsqu’ils se rejoignaient à Paris, ils dînaient parfois au restaurant. Ils s’écrivaient rarement. Malgré tout, Stéphane était fier de son père, et Guillaume, bien que mal informé des travaux et des succès de son fils, n’y était pas indifférent.

Et voilà que cet homme dont il admirait la silhouette si jeune (Guillaume n’avait que cinquante-trois ans), l’air de force et de santé, la puissante musculature, voilà que cet homme tentait de se tuer. Pour