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l’image de la femme nue

prévoyant le retour proche de Solari et de son camarade. Alors que risquait-elle ?

— Soit, dit-elle en le suivant dans la cabine de la péniche, mais laissez cette porte ouverte.

— Pourquoi ? Vous comptez sur du secours ? Bah ! nous avons toujours bien dix minutes pour nous expliquer. Cela suffit.

Deux lampes, accrochées en appliques, les éclairaient. Stéphane en tourna la lumière vers Irène, elle était livide.

Il répéta :

— Cela suffit à condition que vous soyez résolue à parler.

— Ma vie entière n’aurait aucun sens, répliqua-t-elle, si je n’avais eu l’espoir et la volonté de vous dire, un jour ou l’autre, sans détour, en trois mots, à quoi elle fut consacrée.

— À quoi ?

— À venger mon père.

— Votre père ?

— Le prince Wassilof.

— Que dites-vous ? Le prince Wassilof ?

— Le prince Wassilof qui s’est tué au Salon de 1912, devant la Vénus Impudique.

Déconcerté, Stéphane évoquait le scandale, à quoi si souvent il avait songé et qui, tout à coup, prenait pour lui un sens nouveau et si imprévu ! Il murmura :

— Vous êtes la fille…

— La fille du prince Wassilof qui ne portait guère que le nom d’un de ses domaines russes, Karef… La fille du prince Wassilof, lequel aimait une femme que Guillaume Bréhange a enlevée.

— La même femme que Zoris aimait ?

— La même femme. Il a failli en devenir fou.

— C’était un fou, affirma Stéphane. J’ai lu les journaux de l’époque.

— Non, non, c’était un homme qui aimait. Plus tard, quand il s’est trouvé devant cette statue, il a perdu la tête, et il s’est tué.

Stéphane s’emporta :

— Et c’est cette histoire, vieille de vingt ans, qui vous a remplie de tant de haine ?

— J’adorais mon père. J’avais neuf ans. Sa mort m’a laissée orpheline, ruinée. Toute ma jeunesse, je l’ai usée à reconstituer le drame. Quand j’ai connu la vérité dans ses détails, j’ai juré…

Il la secoua par le bras.

— Vous avez juré quoi ? de le venger ? Mais c’était un fou et votre vengeance ne fut qu’une folie sans nom.