Page:Leblanc - L’Image de la femme nue, 1934.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
13
l’image de la femme nue

Le docteur s’était levé et marchait de long en large, parlant avec une animation douloureuse. Il revint auprès de Stéphane et lui demanda :

— Nous sommes bien d’accord, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Je sais que vous n’étiez guère en confiance, ton père et toi. Il n’a jamais fait allusion au passé ?

— Si, une fois. Lors de notre dernière rencontre avant les vacances, il m’a dit à brûle-pourpoint, et d’un air grave : « S’il m’arrivait malheur, Stéphane, promets-moi de faire l’impossible pour retrouver la statue. J’ai souffert mortellement de sa disparition, et je serais heureux de savoir que tu continueras mes recherches, et qu’un jour, peut-être, elle reprendra sa place et me sauvera de l’oubli. »

« Comme j’hésitais, me souvenant de ma mère, il devina ma pensée et murmura :

« — Ta mère m’a pardonné…

« Alors, je lui fis le serment qu’il réclamait de moi, et il fut convenu que, dès mon retour, il me donnerait certaines explications. Je ne l’ai pas revu. Mais ce serment, je suis résolu à le tenir, envers et contre tout. »

— Tu as raison, Stéphane, dit le docteur, seulement si le suicide avait été foudroyant, je crois que jamais le problème n’aurait été résolu. Tu te serais trouvé en face d’une énigme indéchiffrable, et tu n’aurais jamais su dans quelles circonstances ton père s’était élevé jusqu’au génie, pourquoi le destin semblait lui rendre de nouveau ce génie perdu, et pourquoi il s’est tué. Ainsi, sans doute, au dernier moment, a-t-il voulu cette ombre autour de sa mort. Mais les circonstances ne s’y sont pas prêtées entièrement. Le hasard a fait qu’il a survécu quelques heures, que le désarroi de l’agonie a fléchi un peu de sa volonté, et que des mots, balbutiés par lui dans la fièvre, jettent une certaine lueur sur la vérité… Je m’explique.

Une pause. Et le docteur continua :

— Je suis entré ici en même temps que le commissaire de police, une demi-heure après le coup de revolver. Ton père agonisait. Au premier examen de la plaie, et dès auscultation, je vis qu’il ne restait aucun espoir. Une intervention chirurgicale était impossible. La mort était en lui. Il demeura assoupi durant deux heures. Je ne le quittais pas des yeux, et j’écoutais son souffle, de plus en plus court et rauque. Cependant, ses paupières se soulevèrent. Il me regarda et, sans le moindre doute, il me reconnut. Et je vis distinctement le grand, le terrible effort qu’il fit pour reprendre conscience. Sa fièvre était forte… 40 degrés… Les mots qu’il réussit à formuler furent des mots de délire. L’un d’eux, cependant, parut le soulager, et il le répéta plusieurs fois. C’est ton nom,