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Page:Leblanc - L’Image de la femme nue, 1934.djvu/16

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maurice leblanc

Stéphane. J’estime que, durant quelques minutes, il eut sa raison et qu’il sut ce qu’il disait. Penché sur lui, je demandais :

« — Tu voudrais voir Stéphane, n’est-ce pas ? Il est prévenu… Il ne tardera pas à venir.

« Il essaya de se soulever, et son regard se tourna vers le rideau comme s’il m’ordonnait de l’ouvrir et de regarder. J’allai le tirer. Je défis les linges et, à ma grande surprise, je vis cette statue. Alors, revenant près de lui, je murmurai :

« — C’est à ce propos que tu voudrais parler à ton fils ?

« — Oui… oui, fit-il, dans un souffle.

« Il aurait voulu dire autre chose. Il n’y parvenait pas. Cependant, je parlais au hasard, cherchant une approbation dans ses yeux…

« — C’est une réplique de la femme d’autrefois, n’est-ce pas ? Que doit faire Stéphane ? La faire mouler… Non, ce n’est pas cela ? Alors ?…

« Ses lèvres remuèrent… Je finis par entendre :

« — De l’argent…

« — Tu veux qu’il la vende ? Non ?

« Et soudain, j’eus une idée :

« — C’est une femme, n’est-ce pas ? et tu veux que l’on donne de l’argent à cette femme ?

« À son regard, je compris que j’avais touché juste, et j’insistai :

« — Combien ? Dix mille francs ? Vingt mille ?

« Ses yeux disaient non. J’enflais le chiffre ; j’étais confondu. À la fin, ses paupières s’abattirent et je dis, plus fort :

« — Tu veux que ton fils lui donne une pareille somme ? Un million ? Tu veux vraiment cela ? Ce n’est donc pas un modèle, cette femme ? Non ? Alors qui est-ce ? Comment s’appelle-t-elle ? Où la retrouver ?

« Mais l’effort l’avait épuisé. Sa tête se renfonça dans l’oreiller. Il luttait cependant… il luttait de toutes ses forces, et j’écoutais, haletant, les mots incohérents, inachevés, que le délire lui arrachait. Ce ne furent bientôt plus que des gémissements. Puis, le silence. Et, une heure plus tard, après quelques soupirs, il s’éteignait. »

Le docteur réfléchit longuement, puis conclut :

— Tu agiras comme tu l’entendras, Stéphane. Mais que vaut cette mission qu’il avait jugé bon de ne pas te donner avant sa tentative, et qu’il te lègue plus tard, dans la fièvre ? Si tu t’inclines devant cette volonté, sans doute irréfléchie, je me demande, d’autre part, si son délire croissant lui a permis de comprendre le chiffre prononcé par moi. Et moi-même, Stéphane, puis-je affirmer que je ne me trompe pas en interprétant comme une approbation le clignement de ses yeux ?

— C’est cependant, déclara Stéphane, le seul chiffre que je veuille