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maurice leblanc

Elle le recevait avec une amabilité distraite, sans avoir l’air étonné de visites dont rien, dans les paroles du jeune homme, ne justifiait le retour presque quotidien. Il y avait entre eux de longs silences, qui ne semblaient pas les embarrasser. Ils causaient aussi beaucoup, mais de choses tout à fait indifférentes, et jamais de Guillaume Bréhange, bien que Stéphane fît souvent allusion à son père.

Une atmosphère étrange les enveloppait. Le plaisir troublant d’être ensemble ne s’appuyait sur aucune raison qui pût être formulée. Ils s’apercevaient bien l’un et l’autre de leurs regards furtifs, mais tous les deux demeuraient sur des terrains différents sans qu’il y eût contact entre eux. Stéphane se représentait la jeune femme de l’île aux Fées posant en plein air, le torse nu, et Adrienne se rappelait son amour merveilleux et brisé. C’était pour elle de la douceur, de la consolation, et un oubli charmant où s’enfonçaient peu à peu, comme dans de l’eau paisible, tant de souvenirs cruels. Et, ni l’un ni l’autre, ils ne discernaient où les conduisait cette dangereuse intimité, si chargée de tentations dont ils ne se rendaient pas compte.

Elle fut donc stupéfaite, à la fin d’une journée, lorsque, assis près d’elle, à sa droite, dans le boudoir demi-obscur où elle l’avait reçu, il passa le bras autour de son cou, et sans un mot, doucement mais impérieusement, glissa la main par la soie entr’ouverte de son corsage, et saisit le plus précieux des trésors, le sein sous lequel battait un cœur éperdu. Elle n’eut pas la force de résister, et n’y songea même pas, engourdie des pieds à la tête comme s’il se fût emparé du point même qui gouvernait tout son être. Et elle murmurait, suffoquée :

— Ah ! mon Dieu… je vous en prie… je vous en prie…

De quoi le priait-elle ? De l’épargner ou d’achever sa défaite ? Renversée contre lui, elle ne détournait pas sa bouche entr’ouverte, et ses dents humides. Elle palpitait, prête à tous les événements, et soucieuse de n’y pas mettre obstacle. Stéphane ne bougeait pas, étonné comme la jeune femme, et embarrassé de l’acte qu’il avait accompli non pas tant comme un geste de convoitise ou une prise de possession, que comme un acte de perquisition destinée à se rendre compte. Il aurait bien rendu la liberté à la proie adorable qu’il tenait entre ses doigts, d’autant qu’il la jugeait plus lourde qu’il ne l’avait estimée, et de forme moins pure que l’image ne l’indiquait. Cependant il s’y attachait énergiquement et l’aidait à se dégager de sa prison, tandis que, malgré tout, un impérieux désir l’obligeait à donner à l’entreprise commencée sa conclusion logique.

Adrienne s’enflamma aussitôt et répondit par des élans spontanés et une ardeur sans réserve. Et vraiment, Stéphane ne pouvait supposer