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Page:Leblanc - L’Image de la femme nue, 1934.djvu/48

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maurice leblanc

nouvelle du rapport qui reliait entre eux tous ces épisodes d’une même histoire !

— Où que tu sois, je te retrouverai, se dit Stéphane, unissant dans sa pensée la statue cachée et la maîtresse enfuie.

Le temps se rassérénait. Stéphane partit le deuxième jour vers midi. Le matin, il avait découvert, non loin de la cabane, dans la vase épaisse d’une berge d’étang, des traces de sabot que la pluie n’avait pas délayées, et qui lui indiquaient la bonne direction. D’après la position du soleil, la Dame de la Camargue s’en serait allée vers le sud.

De ces empreintes, il en releva encore, une heure plus tard, et d’autres encore, identiques. Et ainsi, entre les étangs rapprochés, sur la terre molle et luisante, parmi les touffes d’enganes que la pluie gonflait comme des éponges, il suivait une vague piste sinueuse, plongeant parfois dans les baisses inondées d’eau.

Ignorant du vrai chemin qu’avait déplacé la galopade effrénée du vent, il se fiait à son cheval, que son instinct et des souvenirs confus, sans doute, guidaient plus sûrement. La bête s’engagea au milieu de marais inquiétants et, peut-être, évita les abîmes de boue mouvante où s’enlisent les imprudents.

Un troupeau de bœufs, au loin, s’éparpillait autour de la silhouette du gardian. Sauf cette rencontre, sauf un vol de flamants roses, quelques râles et des sarcelles, rien de vivant sur le désert.

Et trois heures s’écoulèrent ainsi. Sous le ciel, de nouveau gris et bas, Sauvageon marchait d’une allure égale et pesante, avec la tranquillité d’une bête qui sait où elle va. Stéphane ne le savait pas, lui. Il eût été aussi bien à droite qu’à gauche, et d’ailleurs, y a-t-il une droite et une gauche, pour qui tourne au hasard dans l’étendue d’un cercle ?

Parmi les brouillards de l’horizon, il aperçut quelque part un petit train qui rampait. Ailleurs, une auto. Mais n’était-ce pas une hallucination, puisque ne s’offrait aucune route, aucune ligne de chemin de fer ? Il pénétrait de plus en plus dans une région de mirage et de fantaisie, où il se risquait à la poursuite de quelque fée invisible.

L’aspect de la nature semblait, du reste, changer. Une ombre de végétation verdoyait aux rameaux des arbustes. Les tamaris devenaient plus fournis. Des pentes douces le menèrent dans un bois de bouleaux. Le sol redescendit, puis remonta. Et une longue barre traversa l’espace devant lui, à une lieue ou deux de distance, comme si une muraille courait au ras du sol.

Une heure plus tard, ce fut encore un bouleversement des choses. Le sol de boues durcies ou de sables humides, délivré de l’eau envahissante, consolidé par des pierres, s’élevait insensiblement, dans un