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Page:Leblanc - L’Image de la femme nue, 1934.djvu/49

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l’image de la femme nue

désordre de chaos, qui prenait forme parmi les brumes désagrégées. Il atteignait le pied d’on ne sait quelle construction. Falaise ou digue ? Muraille cyclopéenne ?

Rempart inaccessible, en tout cas, composé de blocs en équilibre, creusé de fissures que le mistral nettoyait de toute herbe et de toute plante. Et par-dessus cet amoncellement de douze ou quinze mètres de hauteur, on voyait de puissants rameaux de pins parasols qui dépassaient.

Si la fugitive avait précédé Stéphane sur les mêmes pistes, elle avait dû contourner l’obstacle, bifurquer à droite ou à gauche. Au hasard, il choisit la droite et, tenant la bride de Sauvageon, il marcha au milieu d’éboulements que la marée des eaux déchaînées par la tempête avait dû battre souvent de ses flots salés.

Il peinait. L’expédition devenait âpre et fatigante. À ce moment, un incident se produisit qui ajouta à son désarroi. Sauvageon, astucieux et sournois comme beaucoup de Camarguais, profita de quelques secondes où Stéphane passait la bride d’un bras à l’autre, pour reculer d’un bond. La bride sauta. Sauvageon pivota sur lui-même et se mit à trottiner sur la piste qu’il venait de suivre sous le rempart. Aucun espoir de le rattraper. Il emportait les sacoches et la pèlerine.

Stéphane, qui se décourageait, retrouva toute son ardeur. La digue énorme, d’ailleurs, commençait à s’infléchir vers le sud, et il semblait à Stéphane que chaque pas le rapprochait du but qu’il ne connaissait point.

Encore un effort, et puis un autre…

Il ne s’était pas trompé. Tout d’un coup, sans qu’aucun pressentiment l’en eût averti, la mer se découvrit, grise, immobile, glacée d’aspect sous un ciel de métal, et infinie.

La muraille aboutissait là, du moins dans sa partie infranchissable, car elle se prolongeait vers la droite, plus basse et selon la courbe des plages que vient baigner la Méditerranée.

Il se reposa un moment. Il était cinq heures. Le jour s’était assombri. Puis il descendit sur un sable constellé de parcelles brillantes comme des grains de mica.

À gauche, à l’intérieur du rempart qu’il avait dépassé, et qui semblait l’enceinte d’un domaine isolé, un poteau portait cette inscription : « Jardin des Hespérides ». Des masses noires de pins d’Alep, abrités du nord, s’amoncelaient sur une terrasse, et paraissaient arrangés selon l’architecture d’un jardin qu’il ne discernait point. La terrasse, haute d’une dizaine de mètres, bordait la conque d’une baie et la conque d’une autre baie, que l’on devinait par-dessus un promontoire. Et, immédiatement en face de Stéphane, avançait dans la mer un petit môle auquel