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l’image de la femme nue

Seule avec Stéphane, elle se met à tricoter. Ses magnifiques yeux noirs ont une dureté qu’adoucit l’incroyable longueur des cils. Son masque grave, austère même, ne se détend jamais. Plusieurs fois, elle rencontre le regard du jeune homme. Aussitôt, le voile des cils s’abaisse.

— Ainsi, songe Stéphane distraitement, elles sont cinq au château qui savent ma présence ici… Les trois sœurs, Irène Karef, la gouvernante Séphora. Qui suis-je pour elles ? Qui suis-je pour celle-là ? Un intrus ? un ennemi ?

Rêvasseries incohérentes, auxquelles il ne donne pas de conclusion. Il est étonné de s’apercevoir que, sans un mot, Séphora lui a pris la main. Elle se penche sur la paume dont elle suit les lignes avec l’une des longues aiguilles de son tricot. Elle est absorbée. Un parfum de santal et de musc, trop violent, émane d’elle.

Il se prête à l’examen, tout en considérant, une à une, les pierres précieuses des bracelets. Aucune d’elles n’est fausse, cela ne fait pas le moindre doute. Mais il tressaille soudain. Entre les cercles lourds, sur la chair brune et grasse, il aperçoit un simple petit cercle de corail rose, clos par un fermoir d’argent guilloché. Or, parmi les bijoux, objets de vitrine, ou bibelots sans valeur, qu’on laisse traîner, il a trouvé, dans les tiroirs de son père, le même modèle de petit cercle en corail rose que clôt un fermoir d’argent guilloché.

— Un souvenir ? fait-il en désignant le corail rose.

Elle ne répond pas, toujours inclinée et quand elle a fini, elle se lève et ne dit rien. Irène Karef et Véronique revenaient ensemble et Irène s’écrie, en riant :

— Ah ! à la bonne heure ! Vous avez bu votre potion. Vous allez beaucoup mieux déjà, n’est-ce pas ?

Il a un frisson et s’interroge. Il ne se rappelle nullement avoir avalé cette drogue.

Irène félicite l’Égyptienne.

— Un bon point, Séphora, car c’est vous qui l’avez fait boire ?

Elle répond :

— C’est moi.

Le ton est évasif, mais elle n’a pas détourné les yeux.

Stéphane se demande :

— Ai-je bu réellement, à mon insu ? Si j’ai bu, c’est qu’on n’y avait pas jeté de poison, et que, cette nuit, j’ai été victime d’une hallucination, ce qui est possible, après tout.

Mais, au fond de lui, il est convaincu qu’il n’a pas touché au bol, et, s’il n’y a pas touché, c’est donc que Séphora en a jeté le contenu. Comment savait-elle qu’il fallait le jeter ? Et pourquoi a-t-elle agi ainsi ?

Le soir, après une journée encore languissante, Stéphane se sent mieux. Il a moins de vertiges et s’alimente avec plaisir. Il écrit