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maurice leblanc

même à son vieil ami, le docteur Gassier, et le met au courant.

Le quatrième matin qui suit sa blessure, étant seul, il se lève, et, chancelant encore, se dirige vers le pont.

Véronique, qui arrive avec sa sœur Lœtitia et avec l’Égyptienne, le surprend allongé sur un rocking-chair au soleil, et elle en est si ravie qu’elle se précipite et balbutie, en le tutoyant :

— Ah ! mon chéri… mon chéri… tu te sens tout à fait bien, maintenant, n’est-ce pas ? Comme je suis contente ! Mais contente au delà de tout, mon chéri… Tu ne peux pas imaginer…

Elle lui couvre le visage de baisers. Elle lui offre ses lèvres et le serre passionnément dans ses bras.

Lœtitia sourit, comme une aînée qui prend sa part du bonheur exubérant de sa Sœur.

Une expression cordiale anime la face sévère de Séphora.

Dominant la péniche, sur la dunette du Castor, le patron Solari et son camarade du yacht s’arrêtent d’astiquer et semblent tout émus.

« J’achève ma lettre, mon cher docteur. Avez-vous compris quelque chose à cette succession vertigineuse de prodiges que je viens de vous narrer, et dont le moindre n’est pas cette histoire de corail rose ? Moi, rien du tout. Il faudra pourtant que je me décide à allumer ma lanterne, si fort que je me délecte dans ces ténèbres.

« Et puis, que je le veuille ou non, j’ai lu, tout à l’heure, dans les yeux de Véronique, qu’elle était résolue à n’avoir plus aucun ménagement pour mon repos de convalescent, et qu’elle entendait bien que la nuit prochaine complétât son éducation commencée dans la cabane, au bruit de l’ouragan. Je m’y résigne avec enthousiasme, croyez-le. Mais, tout de même, durant ces nuits successives, il n’y aura pas que des actes. On parlera. Et je ne manquerai point de dire à Véronique cette phrase qui s’impose à moi depuis le premier jour : « Pourquoi vous êtes-vous donnée, Véronique ? » Et ainsi, mon cher docteur, nous devons admettre que tous ces brouillards romantiques et troublants se dissiperont aux rayons d’une réalité plutôt banale. Ce sera l’objet d’une autre lettre.

« D’une autre lettre ? direz-vous. Comment ! il y a donc une poste dans ce pays perdu ? Une poste ? et des levées ? et un facteur ? » Il y paraît, mon cher docteur, puisque le patron Solari attend cette missive avec impatience.

« Un mot encore, cependant ! Ne soyez pas inquiet. Je ne cours aucun danger, pour cette raison que je suis prudent. Un homme averti en vaut deux. Or, j’ai été doublement averti, puisqu’il y a eu double tentative. Ainsi, je me tiens sur mes gardes. La porte de ma cabine est toujours fermée, et j’ai un bon revolver dans ma poche… »