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maurice leblanc

la jalousie. Il se savait crédule et, délibérément, voulait que cette crédulité, garantie de sa paix nonchalante, fût de la confiance et de la compréhension.

Cependant, le Castor s’éloignait au large de la terrasse, et doublait le promontoire de Leucade, qui formait l’autre pointe de la baie. Sur le versant opposé, il savait que s’accrochait une seconde jetée, qu’on appelait Andromède, comme la grotte voisine. Plus proche du château, cette seconde jetée servait d’embarcadère à Élianthe et à Irène. Stéphane supposa que le yacht s’y arrêtait et prenait ses deux passagères habituelles.

La matinée était chaude et lumineuse. L’eau bleue s’abandonnait au soleil. Stéphane flâna sur la plage.

Tout ce paysage de mer donnait la même impression de solitude que le paysage des lagunes et des étangs. Sur le socle bas de la terrasse, les pelouses et les allées du jardin montant étaient toujours désertes, sauf aux heures de travail matinal des jardiniers. Les communs se trouvaient par derrière les bâtiments, on ne voyait personne et l’on n’entendait aucun bruit. Sur la mer, pas de barques de pêcheurs. À l’horizon, parfois, la silhouette d’un navire… Le sable était chaud sous les sandales dont il s’était muni, et chaude aussi la mousse blanche des petites vagues où il trempait ses pieds. Tout cela, qui était infiniment doux, exaltait son plaisir de vivre.

Au bout d’une heure, il s’engagea sur les affleurements de roches. Quelques-unes, plus hautes, éparses, formaient le dos abrupt du promontoire. Un sentier s’insinuait entre elles, qui le conduisit en vue de l’autre baie dont l’aspect plus tourmenté s’alliait au même apaisement. Une barque, avec ses avirons étendus comme des bras, s’enchaînait à l’un des anneaux de la jetée.

Le murmure d’une chanson fredonnée quelque part l’attira au-dessus d’une crique, close comme un étang. Il s’arrêta. En avant et sous lui, il ne voyait pas, à cause de la roche qui surplombait le rivage. La voix, une voix de femme, chantonna encore, puis se tut.

Il glissa le long du sentier. Le sable, qu’il atteignit, remontait en dune courte. Sur cette dune, une femme reposait à plat ventre, tournée vers la mer, offrant au soleil ses longues jambes, son dos et sa nuque. Le maillot de bain, mouillé, était rabattu jusqu’à la taille. La tête se redressait un peu, le menton s’appuyait au creux des mains jointes, entre les bras accoudés. Le chignon était tordu à la grecque. Et, comme chez Véronique et Lœtitia, deux bandelettes d’or serraient les ondulations.

— C’est toi, Irène ? dit-elle.

Par discrétion, Stéphane se fût retiré, s’il avait pu le faire sans bruit. Mais il hésita, tout en pensant que ce devait être la troisième sœur, Élianthe, et qu’elle et son amie Irène avaient renoncé à leur promenade en mer.