Page:Leblanc - La Cagliostro se venge, paru dans Le Journal, 1934.djvu/111

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tait toujours dans les moments d’indécision, et M. Rousselain avait subi le poids de cette certitude comme tous ceux qu’il inclinait sous son autorité. Mais au fond, il ne pouvait guère affirmer qu’une chose, et par une argumentation logique mêlée de beaucoup d’intuition, c’est que le mariage de Jérôme et de Rolande était en lui-même un dénouement auquel Félicien, Jérôme et Rolande donneraient sa note explicative.

Or, jusqu’à la dernière minute, Félicien y parut indifférent. Certes, sa tentative d’enlèvement lui fermait la porte des Clématites et ne lui permettait de se rendre ni à la mairie ni à l’église, mais, le samedi matin, pas un muscle de son visage ne se contracta quand l’heure de la signature à la mairie arriva, et nulle émotion ne l’ébranla lorsque les cloches de l’église sonnèrent. Pourtant, tout était fini. Rolande lui échappait. Elle portait le nom d’un autre. Son doigt s’ornait de l’anneau nuptial.

Était-ce dissimulation chez Félicien ? Maîtrise absolue sur ses nerfs ? Refoulement de tout son amour ? Raoul, qui le surveillait passionnément, ne recueillit pas un seul indice. Le jeune homme vaquait à ses occupations et travaillait à ses plans de décoration, avec la même sérénité que si rien de grave ne bouleversait son existence.

Tout l’après-midi s’écoula de la sorte, dans la paix d’un beau jour de septembre, où quelques feuilles mortes se détachaient et tombaient en silence.

Et toute la journée, et tout le soir, Raoul poursuivait son monologue intérieur.

« Tu ne souffres donc pas ? Tu ne penses donc pas à ce qui va avoir lieu tout à l’heure ? Comment ! la femme que tu aimes va appartenir à un autre et tu acceptes cela ? Alors, pour quelle raison l’as-tu enlevée ? »

L’ombre vint. Dès que la nuit se fut épaissie — une nuit noire, chaude, lourde de mystère — Raoul sortit furtivement du Clair Logis par l’issue du garage, fit le tour de la propriété et se posta dans l’obscurité près de la barrière. Des idées tumultueuses envahissaient son cerveau. Il se représentait Félicien à Caen chez Georges Dugrival, agenouillé devant le coffre et empochant les bijoux de l’écrin bleu. Il évoquait le duel du jeune homme avec Jérôme Helmas sous les yeux de Rolande qui balbutiait : « Il va le tuer. » Et il se rappelait aussi la conduite énigmatique de Faustine. Qu’était-elle devenue Faustine ? Car enfin, il manquait au drame qui se jouait un de ses quatre personnages, Faustine était-elle femme à renoncer au rôle qu’elle tenait dans les ténèbres ?

Quelque part, les dix coups d’une horloge tintaient. Raoul savait, par les domestiques, que l’oncle de Rolande, Philippe Gaverel, était revenu du Midi pour le mariage, ainsi que son fils et sa belle-fille. Et Félicien devait le savoir également. Le dîner de famille était terminé. Personne ne restait aux Clématites que les deux époux. Est-ce que Félicien se résignait ? N’allait-il pas intervenir, frapper l’ennemi, supprimer le maître de Rolande ?

Quinze minutes encore, et puis la demie sonna…

Raoul, caché derrière un arbre de l’avenue, entendit craquer le galet de l’allée. Des pas lents avançaient, avec précaution. La barrière fut poussée doucement, puis refermée.

Quelqu’un avança. C’était bien la silhouette de Félicien Charles.

Quand il eut un peu dépassé l’ar-