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bre. Raoul surgit de telle façon que Félicien ne pût le voir, sauta sur lui, le ceintura et le renversa.

Le combat ne fut pas long. Assailli à l’improviste, Félicien ne put opposer de résistance. Un voile d’étoffe lui entoura la tête. Des cordes le lièrent solidement.

Raoul le prit dans ses bras, le porta jusqu’au Clair-Logis, l’attacha par d’autres cordes à une colonne du vestibule, l’enveloppa d’un rideau qui l’immobilisa davantage encore, et le laissa là, inerte, absolument incapable de faire un seul geste.

Et il s’en alla, libre d’agir, lui…

— Et d’un, sur les quatre ! se disait-il.


VI

La haine


Lorsque Raoul supposait qu’un jour ou l’autre il pourrait être amené à quelque visite nocturne dans une maison, il préparait son expédition longtemps à l’avance. C’est ainsi qu’il possédait une clef du potager qui flanquait à droite le jardin de l’Orangerie. Et c’est ainsi, en outre, qu’il avait noté l’emplacement de crampons qui soutenaient un espalier collé à la façade latérale de la villa des Clématites.

Il pénétra donc dans le potager, longea l’étang devant l’Orangerie, dont il remarqua que toutes les lumières étaient éteintes, et atteignit les Clématites. La salle à manger et la pièce de dessus étaient obscures. Pleine clarté dans le studio, mais personne ne s’y trouvait. Rolande et son mari devaient être dans les chambres supérieures dont on voyait les lumières et qui étaient le boudoir de la jeune fille, sa chambre, et, après la cage de l’escalier, une grande pièce, aménagée, — Raoul le savait, — en chambre nuptiale, et que suivait l’ancien appartement d’Élisabeth.

Il tâta, retrouva les crampons de fer au treillage de la façade latérale, et grimpa sans trop de difficulté jusqu’à la pièce d’angle, c’est-à-dire jusqu’à la salle de bain. Par la corniche, il gagna le balcon qui desservait cette salle et le boudoir. Les volets du boudoir étaient fermés, mais non clos, la fenêtre entr’ouverte. Il aperçut Rolande, assise dans un fauteuil, le dos tourné. Elle avait enlevé sa robe de mariée, et portait une tenue de nuit, avec un fichu de mousseline qui lui couvrait les épaules.

Jérôme, très élégant dans son veston d’intérieur, allait et venait. Ils ne parlaient point.

— Ça y est, se dit Raoul. Le rideau est levé.

Rarement, au cours de sa vie mouvementée, il avait attendu avec autant de passion, presque douloureuse, les premières scènes, les premières paroles mêmes qui lui allaient indiquer dès l’abord l’atmosphère où évoluaient les deux époux, leur état d’âme, leurs relations affectueuses, le secret même de leur existence. Ce qu’il n’avait pu exactement établir, il était sur le point de le savoir.

Au bout d’un assez long moment, Jérôme s’arrêta devant Rolande et lui dit :

— Comment vas-tu ?

— Mieux.

— Alors, Rolande… ?

— Que veux-tu dire ?

— Pourquoi ne m’as-tu pas rejoint déjà tout à l’heure. Là-bas… dans notre chambre ?…

— Patiente un peu, murmura-t-elle. Il faut que je me remette tout à fait.

Une pause, et, s’étant assis, les coudes sur les genoux, les yeux fixés sur elle, il lui dit :