Page:Leblanc - La Cagliostro se venge, paru dans Le Journal, 1934.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

aurez le temps, monsieur le juge, je vous les donnerai, ces détails. Ma vie n’a pas manqué d’un certain pittoresque.


Somme toute, les événements paraissaient tourner dans le bon sens, et certains problèmes étaient élucidés. Ainsi le rôle de Faustine n’avait plus rien de mystérieux, un lien très fragile l’avait attachée jadis à la Cagliostro, et le hasard de son amour pour Simon Lorient, en la conduisant en France, l’avait mêlée à son insu, et de loin, aux combinaisons du vieux Barthélemy et de son fils. C’était simplement une amoureuse, sans autre but, désormais, que de venger l’homme qu’elle avait aimé.

D’autre part, la mort certaine de la Cagliostro réjouissait Raoul, et rien ne permettait de croire que l’ordre abominable signé par elle autrefois s’appliquât à Félicien. Dès lors, l’entreprise qui n’aurait pu réussir, à l’encontre de Raoul, que sous la direction de la Cagliostro, ne devait plus, forcément, poursuivie par des hommes de second plan comme Barthélemy et ses fils, qu’aboutir à un résultat négatif et absurde. De fait, Raoul d’Averny se trouvant tout à coup en face d’un garçon qui était peut-être son fils, ou peut-être ne l’était pas, ne possédait, maintenant que le destin avait supprimé Barthélemy et Simon Lorient, aucun moyen d’atteindre une vérité que, selon toute vraisemblance, personne au monde ne connaissait.

Ainsi s’écoulèrent trois semaines.

Un matin, Raoul apprit que Félicien bénéficiait d’un non-lieu.

À 11 heures, par téléphone, Félicien lui demanda l’autorisation de venir prendre ses affaires dans la journée.

Après le déjeuner, Raoul, errant autour du grand lac, avisa Rolande et Jérôme assis sur un banc de l’île. Il faisait un beau temps de mois d’août, allégé par une brise du nord qui ne remuait même pas les branches des arbres.

Pour la première fois, Raoul vit que les deux jeunes gens causaient. Jérôme, surtout, parlait avec animation. Rolande écoutait, répondit brièvement, puis écoutait de nouveau, les yeux fixés sur des fleurs qu’elle tenait à la main.

Ils se turent. Au bout d’une minute, Jérôme, se tournant vers la jeune fille, prononça de nouveau quelques paroles. Elle hocha la tête, le regarda et sourit légèrement.


Raoul retourna au Clair-Logis sans trop se presser, mais avec quelque émotion à l’idée de retrouver cet inconnu qui prenait soudain tant de place dans sa vie, et vers lequel aucun élan ne le jetait. Sa sympathie pour Félicien n’avait jamais été très vive : elle l’était moins encore, maintenant que le jeune homme pouvait peut-être invoquer certains droits à sa tendresse.

En tout cas, il n’admettait pas que Félicien se bornât à reprendre ses affaires et à lui serrer la main. Non. Il voulait d’abord une explication avec lui et ensuite la reprise d’une vie commune où il pourrait l’étudier à loisir. Il ne s’agissait pas encore de savoir si Félicien était son fils ou ne l’était pas, mais si Félicien voulait se présenter à lui comme son fils. En un mot, Félicien était-il complice de Barthélemy et de Simon Lorient ? Félicien avait-il participé au complot ? Toutes les preuves concordaient pour l’affirmative. La preuve formelle, seuls les actes et les paroles du jeune homme pouvaient la lui donner.