Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/28

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D’un bond il sauta sur l’esplanade, prit une pioche des mains d’un ouvrier, et courut au neuvième pilier dont il fit sauter le vase. Ensuite il attaqua un chapiteau de ciment, tout fendillé, qui recouvrait les briques, et qui tomba aussitôt en morceaux. Dans l’espace que l’agencement des briques laissait inoccupé, il y avait un mélange de terre et de cailloux d’où Raoul put extraire sans peine une tige de métal rongé, qui était bien une branche de ces grands chandeliers liturgiques que l’on voit sur certains autels.

Un groupe d’ouvriers faisait cercle autour de lui, et ils s’exclamèrent en voyant l’objet que brandissait Raoul. Pour la première fois depuis le matin, une découverte était effectuée.

Peut-être Raoul eût-il gardé son sang-froid et, emportant la tige de métal, eût-il feint de rejoindre les cinq amis afin de la leur remettre. Mais, précisément à cette même minute, des cris s’élevèrent à l’angle du manoir, et Rolleville, suivi des autres, surgit en vociférant :

— Au voleur ! Arrêtez-le ! Au voleur !

Raoul piqua une tête dans le groupe des ouvriers et s’enfuit. C’était absurde, comme toute sa conduite depuis un moment d’ailleurs, car enfin, s’il avait voulu gagner la confiance du baron et de ses amis, il n’aurait pas dû les emprisonner dans une cave ni leur dérober ce qu’ils cherchaient. Mais Raoul, en réalité, combattait pour Joséphine Balsamo, et n’avait d’autre but que de lui offrir un jour ou l’autre le trophée qu’il venait de conquérir. Il se sauva donc à toutes jambes.

Le chemin de la grille principale étant défendu, il longea une pièce d’eau, se débarrassa de deux hommes qui voulaient le saisir, et, suivi à vingt mètres de toute une horde d’agresseurs qui hurlaient comme des forcenés, déboucha dans un potager que ceignaient de toutes parts des murailles d’une hauteur désespérante.

— Zut, pensa-t-il, je suis bloqué. Ça va être l’hallali, la curée… Quelle chute !

Le potager, sur la gauche, était dominé par l’église du village, et le cimetière de l’église se continuait, à l’intérieur du potager, par un tout petit espace clos qui servait jadis de sépulture aux châtelains de Gueures. De fortes grilles l’entouraient. Des ifs s’y pressaient. Or, à la seconde même où Raoul dévalait le long de cet enclos, une porte fut entrebâillée, un bras se tendit et barra la route, une main saisit la main du jeune homme, et Raoul, stupéfait, se vit attiré dans le massif obscur par une femme qui referma aussitôt la porte au nez des assaillants.

Il devina, plutôt qu’il ne reconnut, Joséphine Balsamo.

— Venez, dit-elle, en s’enfonçant au milieu des ifs.

Une autre porte était ouverte dans le mur et donnait la communication avec le cimetière du village.

Au chevet de l’église, une vieille berline démodée, comme on n’en rencontrait déjà plus à cette époque que dans les campagnes, stationnait attelée de deux petits chevaux maigres et peu soignés. Sur le siège, un cocher à barbe grisonnante, dont le dos très voûté bombait sous une blouse bleue.

Raoul et la comtesse s’y engouffrèrent. Personne ne les avait vus.

Elle dit au cocher :

— Léonard, route de Luneray et de Doudeville. Vivement !

L’église était à l’extrémité du village. En prenant la route de Luneray, on évitait ainsi l’agglomération des maisons. Une longue côte s’offrait qui montait sur le plateau. Les deux bidets efflanqués l’enlevèrent à une allure de grands trotteurs qui grimpent la montée d’un hippodrome.

Quant à l’intérieur de cette berline, d’une si mauvaise apparence, il était spacieux, confortable, protégé contre les regards indiscrets par des grillages de bois, et si intime que Raoul tomba à genoux et donna libre cours à son exaltation amoureuse.

Il suffoquait de joie. Que la comtesse fût offensée ou non, il estimait que cette seconde rencontre, se produisant dans des conditions si particulières, et après la nuit du sauvetage, établissait entre eux des relations qui lui permettaient de brûler quelques étapes et de commencer l’entretien par une déclaration en règle.

Il la fit d’un trait, et d’une façon allègre qui eût désarmé la plus farouche des femmes.

— Vous ? C’est vous ? Quel coup de théâtre ! À l’instant où la meute allait me déchirer, voilà que Joséphine Balsamo jaillit de l’ombre et me sauve à mon tour. Ah ! que je suis heureux, et combien je vous aime ! Je vous aime depuis des an-