Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/29

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nées… depuis un siècle ! Mais oui, j’ai cent ans d’amour en moi… un vieil amour jeune comme vous… et beau comme vous êtes belle !… Vous êtes si belle !… On ne peut pas vous regarder sans être ému… C’est une joie et, en même temps, on éprouve du désespoir à penser que, quoi qu’il arrive, on ne pourra jamais étreindre tout ce qu’il y a de beauté en vous. L’expression de votre regard, de votre sourire, tout cela restera toujours insaisissable…

Il frissonna et murmura :

— Oh ! vos yeux se sont tournés vers moi ! Vous ne m’en voulez donc pas ? Vous acceptez que je vous dise mon amour ?

Elle entr’ouvrit la portière :

— Si je vous priais de descendre ?

— Je refuserais.

— Et si j’appelais le cocher à mon secours ?

— Je le tuerais.

— Et si je descendais moi-même ?

— Je continuerais ma déclaration sur la route.

Elle se mit à rire.

— Allons, vous avez réponse à tout. Restez. Mais assez de folies ! Racontez-moi plutôt ce qui vient de vous arriver et pourquoi ces hommes vous poursuivaient.

Il triompha :

— Oui, je vous raconterai tout, puisque vous ne me repoussez pas… puisque vous acceptez mon amour.

— Mais je n’accepte rien, dit-elle en riant. Vous m’accablez de déclarations, et vous ne me connaissez même pas.

— Je ne vous connais pas !

— Vous m’avez à peine vue, la nuit, à la clarté d’une lanterne.

— Et le jour qui précéda cette nuit, je ne vous ai pas vue ? Je n’ai pas eu le temps de vous admirer, durant cette abominable séance de la Haie d’Étigues ?

Elle l’observa soudain sérieuse.

— Ah ! vous avez assisté ?…

— J’étais là, dit-il, avec une ardeur pleine d’enjouement. J’étais là, et je sais qui vous êtes ! Fille de Cagliostro, je vous connais. Bas les masques ! Napoléon Ier vous tutoyait… Vous avez trahi Napoléon III, servi Bismarck, et suicidé le brave général Boulanger ! Vous prenez des bains dans la fontaine de Jouvence. Vous avez cent ans… et je vous aime.

Elle gardait un pli soucieux qui marquait légèrement son front pur, et elle répéta :

— Ah ! vous étiez là… je le supposais bien. Les misérables, comme ils m’ont fait souffrir !… Et vous avez entendu leurs accusations odieuses ?…

— J’ai entendu des choses stupides, s’écria-t-il, et j’ai vu une bande d’énergumènes qui vous haïssent comme on hait tout ce qui est beau. Mais tout cela n’est que démence et absurdité. N’y pensons pas aujourd’hui. Pour moi, je ne veux me souvenir que des miracles charmants qui naissent sous vos pas comme des fleurs. Je veux croire à votre jeunesse éternelle. Je veux croire que vous ne seriez pas morte si je ne vous avais pas sauvée. Je veux croire que mon amour est surnaturel, et que c’est par enchantement que vous êtes sortie tout à l’heure du tronc d’un if.

Elle hocha la tête, rassérénée.

— Pour visiter le jardin de Gueures j’avais déjà passé par cette ancienne porte dont la clef était sur la serrure, et, sachant qu’on devait le fouiller ce matin, j’étais à l’affût.

— Miracle, vous dis-je ! Et n’en est-ce pas un que ceci ? Depuis des semaines et des mois, peut-être davantage, on cherche dans ce parc un chandelier à sept branches, et, pour le découvrir en quelques minutes, au milieu de cette foule et malgré la surveillance de nos adversaires, il m’a suffi de vouloir et de penser au plaisir que vous auriez.

Elle parut stupéfaite :

— Quoi ? Que dites-vous !… Vous auriez découvert ?…

— L’objet lui-même, non, mais une des sept branches du chandelier. La voici.

Joséphine Balsamo s’empara de la tige de métal et l’examina fiévreusement. C’était une tige ronde, assez forte, légèrement ondulée et dont le métal disparaissait sous une couche épaisse de vert-de-gris. L’une des extrémités, un peu aplatie, portait sur une de ses faces une grosse pierre violette, arrondie en cabochon.

— Oui, oui, murmura-t-elle… Aucun doute possible. La branche a été sciée au ras du socle. Oh ! vous ne sauriez croire combien je vous suis reconnaissante !…

Raoul fit en quelques phrases pittoresques le récit de la bataille. La jeune femme n’en revenait pas.

— Quelle idée avez-vous eue ? Pourquoi cette inspiration de démolir le neuvième pilier plutôt qu’un autre ? Le hasard ?

— Nullement, affirma-t-il. Une certitude. Onze piliers sur douze étaient construits avant la fin du dix-septième siècle. Le neuvième, depuis.

— Comment le saviez-vous ?

— Parce que les briques des onze autres sont de dimensions abandonnées depuis deux cents ans, et que les briques du numéro neuf sont celles que l’on emploie encore aujourd’hui. Donc, le numéro neuf a été démoli, puis refait. Pourquoi, sinon pour y cacher cet objet ?