Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/30

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Joséphine Balsamo garda un long silence. Puis elle prononça lentement :

— C’est extraordinaire… Je n’aurais jamais cru que l’on pût réussir de la sorte… et si vite !… là où nous avions tous échoué… Oui, en effet, ajouta-t-elle, voilà un miracle…

— Un miracle d’amour, répéta Raoul.

La voiture filait avec une rapidité inconcevable, souvent par des chemins détournés qui évitaient les traversées de villages. Ni les montées ni les descentes ne rebutaient l’ardeur endiablée des deux petits chevaux maigres. À droite et à gauche, des plaines glissaient et passaient comme des images.

— Beaumagnan était là ? demanda la comtesse.

— Non, dit-il, heureusement pour lui.

— Heureusement ?

— Sans quoi, je l’étranglais. Je déteste ce sombre personnage.

— Moins que moi, fit-elle d’une voix dure.

— Mais vous ne l’avez pas toujours détesté, dit-il, incapable de contenir sa jalousie.

— Mensonges, calomnies, affirma Joséphine Balsamo, sans hausser le ton. Beaumagnan est un imposteur et un déséquilibré, d’un orgueil maladif, et c’est parce que j’ai repoussé son amour qu’il a voulu ma mort. Tout cela, je l’ai dit l’autre jour, et il n’a pas protesté… il ne pouvait pas protester…

Raoul tomba de nouveau à genoux, dans un transport d’enthousiasme.

— Ah ! les douces paroles, s’écria-t-il. Alors vous ne l’avez jamais aimé ? Quelle délivrance ! Mais aussi bien, était-ce admissible ? Joséphine Balsamo s’éprendre d’un Beaumagnan…

Il riait et battait des mains.

— Écoutez, je ne veux plus vous appeler ainsi. Joséphine, ce n’est pas un joli nom. Josine, voulez vous ? C’est cela, je vous appellerai Josine comme vous appelaient Napoléon et votre maman Beauharnais. Convenu, n’est-ce pas ? Vous êtes Josine… ma Josine…

— Du respect, d’abord, dit-elle, en souriant de son enfantillage, je ne suis pas votre Josine.

— Du respect ! Mais j’en suis débordant. Comment ! Nous sommes enfermés l’un près de l’autre… vous êtes sans défense, et je reste prosterné devant vous comme devant une idole. Et j’ai peur ! Et je tremble ! Si vous me donniez votre main à baiser, je n’oserais pas !…



VI.

Policiers et gendarmes


Tout le trajet ne fut qu’une longue adoration. Peut-être bien la comtesse Cagliostro eut-elle raison de ne pas mettre Raoul à l’épreuve en lui tendant sa main à baiser. Mais, en vérité, s’il avait fait le serment de conquérir la jeune femme, et s’il était résolu à le tenir, il gardait à ses côtés une attitude et des pensées de vénération qui lui laissaient tout juste assez de hardiesse pour l’accabler de discours amoureux.

Écoutait-elle ? Parfois oui, comme on écoute un enfant qui vous raconte joliment son affection. Mais, parfois, elle s’enfermait dans un silence lointain qui décontenançait Raoul.

À la fin, il s’écria :

— Ah ! parlez-moi, je vous en prie. J’essaie de plaisanter pour vous dire des choses que je n’oserais pas vous dire avec trop de sérieux. Mais, au fond, j’ai peur de vous, et je ne sais pas ce que je dis. Je vous en prie répondez-moi. Quelques mots seulement, qui me rappellent à la réalité.

— Quelques mots seulement ?

— Oui, pas davantage.

— Eh bien, voici. La station de Doudeville est toute proche et le chemin de fer vous attend.

Il croisa les bras d’un air indigné.

— Et vous ?

— Moi ?

— Oui, qu’allez-vous devenir toute seule ?

— Mon Dieu, dit-elle, je tâcherai de m’arranger comme je l’ai fait jusqu’ici.

— Impossible ! Vous ne pouvez plus vous passer de moi. Vous êtes entrée dans une bataille où mon aide vous est indispensable. Beaumagnan, Godefroy d’Étigues, le prince d’Arcole, autant de bandits qui vous écraseront.

— Ils me croient morte.

— Raison de plus. Si vous êtes morte, comment voulez-vous agir ?

— Ne craignez rien. J’agirai sans qu’ils me voient.

— Mais combien plus facilement par mon intermédiaire ! Non, je vous en prie, et cette fois je parle gravement, ne repoussez pas