Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le miracle était accompli.

« Miracle ? se dit Raoul. Non. Ou, tout au plus, miracle de volonté. Influence d’une pensée claire et tenace qui n’accepte pas la déchéance, et qui rétablit la discipline là où il y avait désordre et fléchissement. Pour le reste, flacon, élixir merveilleux, simple comédie. »

Il prit le miroir qu’elle avait reposé et l’examina. C’était évidemment l’objet décrit au cours de la réunion d’Étigues, celui dont la comtesse Cagliostro se servait devant l’impératrice Eugénie. Les bords en étaient guillochés, la plaque d’or par derrière toute meurtrie de coups.

Sur la poignée, une couronne de comte, une date (1783), et la liste des quatre énigmes.

Raoul, qui éprouvait le besoin de la blesser, ricana :

— Votre père vous a légué un miroir précieux. Grâce à ce talisman on se remet des émotions les plus désagréables.

— Il est de fait, dit-elle, que j’ai perdu la tête. Cela m’arrive rarement, et j’ai tenu bon dans des circonstances plus graves que celle-ci.

— Oh ! oh ! plus graves… dit-il avec un doute ironique.

Ils n’échangèrent plus une seule parole. Les chevaux continuaient à trotter d’un même rythme égal. Les grandes plaines de Caux, toujours semblables et toujours diverses, déroulaient de vastes horizons plantés de fermes et de bosquets.

La comtesse Cagliostro avait baissé son voile. Raoul sentit que cette femme, qui était si proche de lui deux heures plus tôt, et à laquelle il offrait si joyeusement son amour, s’éloignait tout à coup, jusqu’à devenir une étrangère. Plus de contact entre eux. L’âme mystérieuse s’entourait de ténèbres épaisses et ce qu’il en pouvait apercevoir était si différent de ce qu’il avait imaginé !

Âme de voleuse… âme furtive et inquiète, ennemie du grand jour… était-ce possible ! Comment admettre que ce visage naïf comme celui d’une vierge ignorante, que ce regard aussi limpide que l’eau d’une source, ne fussent qu’une apparence mensongère ?

Il était déçu au point que, en traversant la petite ville d’Yvetot, il ne songeait qu’à s’enfuir. Il manqua de décision, ce qui redoubla sa colère. Le souvenir de Clarisse d’Étigues lui vint à l’esprit, et, par revanche, il évoqua un moment la douce et tendre jeune fille qui s’était abandonnée si noblement.

Mais Joséphine Balsamo ne lâchait pas sa proie. Si flétrie qu’elle lui parût, si déformée que fût l’idole, elle était là ! Une odeur enivrante se dégageait d’elle. Il frôlait ses vêtements. D’un geste il pouvait prendre sa main et baiser cette chair parfumée. Elle était toute la passion, tout le désir, toute la volupté, tout le mystère troublant de la femme. Et de nouveau le souvenir de Clarisse d’Étigues s’évanouit.

— Josine ! Josine ! murmura-t-il, si bas qu’elle ne l’entendit point.

À quoi bon d’ailleurs crier son amour et sa peine ? Pouvait-elle lui rendre la confiance perdue et retrouver à ses yeux le prestige qu’elle n’avait plus ?

On approchait de la Seine. Au haut de la côte qui descend à Caudebec, ils tournèrent à gauche, parmi les collines boisées qui dominent la vallée de Saint-Wandrille. Ils longèrent les ruines de la célèbre abbaye, suivirent le cours d’eau qui la baigne, parvinrent en vue du fleuve, et prirent la route de Rouen.

Un instant plus tard, la voiture stoppait, et Léonard repartait aussitôt, après avoir déposé les deux voyageurs sur la lisière d’un petit bois d’où l’on découvrait la Seine. Une prairie toute frissonnante de roseaux les en séparait.

Joséphine Balsamo offrit la main à son compagnon et lui dit :

— Adieu, Raoul. Un peu plus loin, vous trouverez la station de la Mailleraie.

— Et vous ? demanda-t-il.

— Oh ! moi, mon domicile est tout proche.

— Je ne vois pas…

— Si. Cette péniche que l’on devine là-bas, entre les branches.

— Je vous conduis.

Une digue étroite coupait la prairie au milieu des roseaux. La comtesse s’y engagea, suivie de Raoul.

Ils arrivèrent ainsi sur un terre-plein, et tout près de la péniche que masquait encore un rideau de saules. Personne ne pouvait les voir ni les entendre. Ils étaient seuls sous le grand ciel bleu. Là s’écoulèrent entre eux quelques-unes de