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Raoul attendit plus de cinq minutes. La visite d’un jeune homme, alors qu’on prévoyait celle de la jeune actrice, devait intriguer les trois personnages.

— On demande à monsieur de donner sa carte, revint dire le domestique.

Raoul donna sa carte.

Nouvelle attente. Puis un bruit de verrous tirés et de chaîne décrochée, et Raoul fut conduit à travers un large vestibule bien ciré, semblable à un parloir de couvent, et dont les murs suintaient.

On passa devant plusieurs portes. La dernière était doublée d’un vantail capitonné de cuir.

Le vieux serviteur ouvrit et referma derrière le jeune homme, qui se trouva seul en face de ses trois ennemis, car pouvait-il appeler autrement ces trois hommes dont deux, tout au moins, guettaient son entrée, debout, dans des postures de boxeurs qui vont déclencher leur attaque ?

— C’est lui ! c’est bien lui ! cria Godefroy d’Étigues, soulevé de rage. Beaumagnan, c’est lui, c’est notre homme de Gueures, celui qui a volé la branche du chandelier. Ah ! il en a de l’aplomb ! Que venez-vous faire aujourd’hui ? Si c’est pour la main de ma fille…

Raoul répondit en riant :

— Mais enfin, monsieur, vous ne pensez donc qu’à cela ? J’éprouve pour mademoiselle Clarisse les mêmes sentiments profonds, je garde au fond de moi le même espoir respectueux. Mais, pas plus aujourd’hui que le jour de Gueures, le but de ma visite n’est matrimonial.

— Alors, votre but ?… mâchonna le baron.

— Le jour de Gueures, c’était de vous enfermer dans une cave. Aujourd’hui…

Beaumagnan dut intervenir, sans quoi Godefroy d’Étigues s’élançait sur l’intrus.

— Restons-en là, Godefroy. Asseyez-vous, et que monsieur veuille bien nous dire la raison de sa visite.

Lui-même, il s’assit devant son bureau. Raoul s’installa.

Avant de parler, il prit le temps d’examiner ses interlocuteurs dont les visages lui semblaient changés depuis la réunion de la Haie d’Étigues. En particulier, le baron avait vieilli, Ses joues s’étaient creusées et l’expression de ses yeux avait, à certaines minutes, quelque chose de hagard qui frappa le jeune homme. L’idée fixe, le remords donnent cette fièvre et cette inquiétude que Raoul crut discerner également sur le visage tourmenté de Beaumagnan.

Cependant celui-ci restait plus maître de lui. Si le souvenir de Josine morte le hantait, cela devait être plutôt à la manière d’un débat de conscience où l’on juge ses actes et où l’on se confirme dans son droit. Drame tout intérieur qui n’affectait pas l’apparence même de l’homme et ne pouvait compromettre son équilibre que par saccades et aux minutes de crise.

— Ces minutes-là, se dit Raoul, c’est à moi de les créer si je veux réussir. Lui ou moi, il faut que l’un des deux flanche.

Et, comme Beaumagnan reprenait :

— Que désirez-vous ? Le nom de mademoiselle Rousselin vous a servi pour pénétrer chez moi. Dans quelle intention ?…

Il répondit hardiment :

— Dans l’intention, monsieur, de poursuivre l’entretien que vous avez commencé hier soir, avec elle, au théâtre des Variétés.

L’attaque était directe. Mais Beaumagnan ne se déroba pas.

— J’estime, dit-il, que cet entretien ne pouvait se continuer qu’avec elle, et c’est elle seule que j’attendais.

— Une raison sérieuse a retenu Mlle Rousselin, dit Raoul.

— Une raison très sérieuse ?

— Oui. Elle a été victime d’une tentative de meurtre.

— Hein ? Que dites-vous ? On a essayé de la tuer ? Et pourquoi ?

— Pour lui prendre les sept pierres, de même que vous et messieurs lui aviez pris les sept anneaux.

Godefroy et Oscar de Bennetot s’agitèrent sur leurs chaises. Beaumagnan se contint, mais il observait avec étonnement ce tout jeune homme, dont l’intervention inexplicable prenait cette allure de défi et d’arrogance. En tout cas, l’adversaire lui semblait d’étoffe un peu mince, et on le sentit au ton négligent de sa riposte :

— Voilà deux fois, monsieur, que vous vous mêlez de ce qui ne vous regarde pas, et d’une manière qui nous obligera sans