Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/53

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doute à vous donner la leçon que vous méritez. Une première fois, à Gueures, après avoir attiré mes amis dans un guet-apens, vous vous êtes emparé d’un objet qui nous appartenait, ce qui, en langage ordinaire, s’appelle tout uniment un vol qualifié. Aujourd’hui, votre agression est encore plus choquante, puisque vous venez nous insulter en face, sans le moindre prétexte, et tout en sachant fort bien que nous n’avons pas volé ces bagues, mais qu’elles nous ont été cédées. Pouvez-vous nous dire les motifs de votre conduite ?

— Vous savez fort bien également, répondit Raoul, qu’il n’y a eu de mon côté, ni vol ni agression, mais simplement l’effort de quelqu’un qui poursuit le même but que vous.

— Ah ! vous poursuivez le même but que nous ? interrogea Beaumagnan avec quelque moquerie. Et quel est ce but, s’il vous plaît ?

— La découverte des dix mille pierres précieuses cachées au creux d’une borne de granit.

Du coup, Beaumagnan fut démonté, et, par son attitude et son silence gêné, il le laissa voir assez maladroitement. Sur quoi, Raoul renforça son attaque :

— Alors, n’est-ce pas, comme nous cherchons tous deux le trésor fabuleux des anciens monastères, il arrive que nos chemins se croisent, ce qui produit un choc entre nous. Toute l’affaire est là.

Le trésor des monastères ! La borne de granit ! Les dix mille pierres précieuses ! Chacun de ces mots frappait Beaumagnan comme une massue. Ainsi donc on devait encore compter avec ce rival ! La Cagliostro disparue, il surgissait un autre compétiteur dans la course aux millions !

Godefroy d’Étigues et Bennetot roulaient des regards féroces et bombaient leurs bustes d’athlètes prêts à la lutte. Beaumagnan, lui, se raidissait pour recouvrer un sang-froid dont il sentait l’impérieuse nécessité.

— Légendes ! dit-il, tout en essayant d’assurer sa voix et de retrouver le fil de ses idées. Commérages de bonne femme ! Contes à dormir debout ! Et c’est à cela que vous perdez votre temps ?

— Je ne le perds pas plus que vous, répliqua Raoul, qui ne voulait point que Beaumagnan se remît d’aplomb et qui ne manquait pas une occasion de l’étourdir. Pas plus que vous dont tous les actes tournent autour de ce trésor… pas plus que ne le perdait le cardinal de Bonnechose dont la relation n’était pourtant pas un commérage de bonne femme. Pas plus que la douzaine d’amis dont vous êtes le chef et l’inspirateur.

— Seigneur Dieu, fit Beaumagnan qui affecta l’ironie, ce que vous êtes bien renseigné !

— Beaucoup mieux que vous ne pouvez le croire.

— Et de qui tenez-vous ces renseignements ?

— D’une femme.

— Une femme ?

— Joséphine Balsamo, comtesse de Cagliostro.

— La comtesse de Cagliostro ! s’écria Beaumagnan, bouleversé. Vous l’avez donc connue !

Le plan de Raoul se réalisait soudain. Il lui avait suffi de jeter dans le débat le nom de Cagliostro pour mettre l’adversaire en désarroi, et ce désarroi était tel que Beaumagnan, imprudence inexplicable, parlait de la Cagliostro comme d’une personne qui n’était plus vivante.

— Vous l’avez connue ? Où ? Quand ? Que vous a-t-elle dit ?

— Je l’ai connue au début de l’hiver dernier, comme vous, monsieur, répondit Raoul, aggravant son offensive. Et, tout cet hiver, jusqu’au moment où j’ai eu la joie de rencontrer la fille du baron d’Étigues, je l’ai vue à peu près chaque jour.

— Vous mentez, monsieur, proféra Beaumagnan. Elle n’a pu vous voir chaque jour. Elle aurait prononcé votre nom devant moi ! J’étais assez de ses amis pour qu’elle ne gardât pas un secret de ce genre !

— Elle gardait celui-là.

— Infamie ! Vous voulez faire croire qu’il y a eu entre elle et vous une intimité impossible ! C’est faux, monsieur. On peut reprocher à Joséphine Balsamo bien des choses : sa coquetterie, sa fourberie, mais pas cela, pas un acte de débauche.

— L’amour n’est pas la débauche, fit Raoul, tranquillement.

— Que dites-vous ? de l’amour ? Joséphine Balsamo vous aimait ?

— Oui, monsieur.

Beaumagnan était hors de lui. Il brandissait son poing devant le visage de Raoul. À son tour on dut le calmer, mais il tremblait de fureur et la sueur lui coulait du front.

« Je le tiens, pensa Raoul tout joyeux. Sur la question du crime et des remords, il ne bronche pas. Mais il est encore rongé par l’amour et je le conduirai où je voudrai. »