Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/55

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Vous nous accusez d’avoir assassiné la Cagliostro ?

— Oui.

— Vous avez des preuves pour soutenir cette accusation ahurissante.

— J’en ai.

— J’écoute.

— Voici. Il y a quelques semaines, j’errais autour du domaine de la Haie d’Étigues, espérant que le hasard me permettrait de voir Mlle d’Étigues, quand j’ai aperçu une voiture conduite par un de vos amis. Cette voiture est entrée dans le domaine. Moi également. Une femme, Joséphine Balsamo, a été transportée dans la salle de l’ancienne tour, où vous étiez tous réunis en soi-disant tribunal. Son procès a été instruit de la façon la plus déloyale et la plus perfide. Vous étiez l’accusateur public, monsieur, et vous avez poussé la fourberie et la vanité jusqu’à laisser croire que cette femme avait été votre maîtresse. Quant à ces deux messieurs, ils ont joué le rôle de bourreaux.

— La preuve ! La preuve ! grinça Beaumagnan, dont la figure devenait méconnaissable.

— J’étais là, couché dans l’embrasure d’une ancienne fenêtre, au-dessus de votre tête, monsieur.

— Impossible ! balbutia Beaumagnan. Si c’était vrai, vous auriez tenté d’intervenir et de la sauver.

— La sauver de quoi ? demanda Raoul qui ne voulait justement rien révéler du sauvetage de la Cagliostro. J’ai cru, comme vos autres amis, que vous la condamniez à la claustration dans une maison de fous anglaise. Je suis donc parti en même temps que les autres. J’ai couru jusqu’à Étretat. J’ai loué une barque, et, le soir, j’ai ramé au-devant de ce yacht anglais que vous aviez annoncé et dont j’avais l’intention d’effrayer le capitaine.

« Fausse manœuvre, et qui a coûté la vie à la malheureuse. Ce n’est que plus tard que j’ai compris votre ruse ignoble et que j’ai pu reconstituer votre crime dans toute son horreur, la descente de vos deux complices par l’escalier du Curé, la barque trouée et la noyade.

Tout en écoutant avec une frayeur visible, les trois hommes avaient rapproché leurs chaises peu à peu. Bennetot écarta la table qui faisait comme un rempart au jeune homme. Raoul avisa la face atroce de Godefroy d’Étigues et le rictus qui lui tordait la bouche.

Un signe de Beaumagnan, et le baron braquait un revolver et brûlait la cervelle de l’imprudent…

Et peut-être fût-ce précisément cette imprudence inexplicable qui retardait l’ordre de Beaumagnan. Il chuchota, l’air redoutable :

— Je vous répéterai, monsieur, que vous n’aviez pas le droit d’agir comme vous l’avez fait et de vous mêler de ce qui ne vous concerne pas. Mais je me refuse à mentir et à nier ce qui fut. Seulement… seulement je me demande, puisque vous avez surpris un tel secret, comment vous osez être là et nous provoquer ? C’est de la démence !

— Pourquoi donc, monsieur ? fit Raoul avec candeur.

— Parce que votre existence est entre nos mains.

Il haussa les épaules.

— Mon existence est à l’abri de tout danger.

— Nous sommes trois cependant et d’humeur peu accommodante sur un point qui touche d’aussi près notre sécurité.

— Je ne cours pas plus de risques entre vous trois, affirma Raoul, que si vous étiez mes défenseurs.

— En êtes-vous absolument certain ?

— Oui, puisque vous ne m’avez pas encore tué après tout ce que j’ai dit.

— Et si je m’y décidais ?

— Une heure plus tard, vous seriez arrêtés tous les trois.

— Allons donc !

— Comme j’ai l’honneur de vous le dire. Il est quatre heures cinq. Un de mes amis se promène aux environs de la Préfecture de police. Si, à quatre heures trois quarts, je ne l’ai pas rejoint, il avertit le chef de la Sûreté.

— Des blagues ! Des balivernes ! s’écria Beaumagnan qui semblait reprendre espoir. Je suis connu. Dès qu’il aura prononcé mon nom, on lui rira au nez, à votre ami.

— On l’écoutera.

— En attendant… murmura Beaumagnan qui se tourna vers Godefroy d’Étigues.

L’ordre de mort allait être donné. Raoul éprouva la volupté du péril. Quelques secondes encore, et le geste dont il avait retardé l’exécution par son extraordinaire sang-froid, serait accompli.

— Un mot encore, dit-il.

— Parlez, gronda Beaumagnan, mais à la condition que ce mot soit une preuve contre nous. Je ne veux plus d’accusations. De cela et de ce que la justice peut penser, je m’en charge. Mais je veux une preuve, qui me montre que je ne perds pas mon temps en discutant avec vous. Une preuve immédiate, sinon…