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Il s’était levé de nouveau. Raoul se dressa devant lui, et, les yeux dans les yeux, tenace, autoritaire, il articula :

— Une preuve… Sinon, c’est la mort, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Voici ma réponse. Les sept anneaux, tout de suite. Sans quoi…

— Sans quoi ?

— Mon ami remet à la police la lettre que vous avez écrite au baron d’Étigues pour lui indiquer le moyen de s’emparer de Joséphine Balsamo, et pour le contraindre à l’assassinat.

Beaumagnan joua la surprise.

— Une lettre ? Des conseils d’assassinat ?

— Oui, précisa Raoul… une lettre en quelque sorte déguisée, et dont il suffisait de négliger les phrases inutiles.

Beaumagnan éclata de rire.

— Ah ! oui, je sais… je me rappelle… un griffonnage…

— Un griffonnage qui constitue contre vous la preuve irrécusable que vous réclamiez.

— En effet…, en effet, je l’avoue, dit Beaumagnan, toujours ironique. Seulement je ne suis pas un collégien, et je prends mes précautions. Or cette lettre me fut rendue par le baron d’Étigues dès le début de la réunion.

— La copie vous fut rendue, mais j’ai gardé l’original que j’ai trouvé dans une rainure du bureau à cylindre dont se sert le baron. C’est cet original que mon ami remettra à la police.

Le cercle formé autour de Raoul se desserra. Les visages féroces des deux cousins n’avaient plus d’autre expression que celle de la peur et de l’angoisse. Raoul pensa que le duel était fini, et fini sans qu’il y eût réellement combat. Quelques froissements d’épée, quelques feintes. Pas de corps à corps. L’affaire avait été si bien menée, il avait par des manœuvres adroites si bien acculé Beaumagnan à une situation si tragique que, dans l’état d’esprit où il se trouvait, Beaumagnan ne pouvait plus juger sainement les choses et discerner les points faibles de l’adversaire.

Car enfin, cette lettre, Raoul affirmait bien qu’il en possédait l’original. Mais sur quoi s’appuyait-il pour l’affirmer ? Sur rien. De sorte que Beaumagnan qui exigeait une preuve irréfutable et palpable avant de céder, tout à coup, par une anomalie singulière, mais à quoi les manœuvres de Raoul avaient abouti, se contentait de l’unique affirmation de Raoul.

De fait, il lâcha pied brusquement, sans marchandage et sans tergiversation. Il ouvrit le tiroir, prit les sept anneaux, et dit simplement :

— Qui m’assure que vous ne vous servirez plus de cette lettre contre nous ?

— Vous avez ma parole, monsieur, et d’ailleurs, entre nous, les circonstances ne se représentent jamais de la même façon. La prochaine fois, vous saurez prendre l’avantage.

— N’en doutez pas, monsieur, dit Beaumagnan avec une rage contenue.

Raoul saisit les anneaux d’une main fébrile. Chacun d’eux, en effet, portait à l’intérieur, un nom. Sur un bout de papier, rapidement, il inscrivit les sept noms d’abbayes :

Fécamp,
Saint-Wandrille,
Jumièges,
Valmont,
Cruchet-le-Valasse,
Montivilliers,
Saint-Georges-de-Boscherville.

Beaumagnan avait sonné, mais il retint le domestique dans le couloir, et s’approchant de Raoul :

— À tout hasard, une proposition… Vous connaissez nos efforts. Vous savez exactement où nous en sommes et que le but, en définitive, n’est pas éloigné.

— C’est mon avis, dit Raoul.

— Eh bien ! seriez-vous disposé — je parle sans ambages — à prendre place au milieu de nous ?

— Au même titre que vos amis ?

— Non. Au même titre que moi.

L’offre était loyale, Raoul le sentit et fut flatté de l’hommage qu’on lui rendait. Peut-être eût-il accepté s’il n’y avait pas eu Joséphine Balsamo. Mais tout accord était impossible entre elle et Beaumagnan.

— Je vous remercie, dit Raoul, mais pour des raisons particulières, je dois refuser.