Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/58

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— À la bonne heure, dit Raoul, tu as confiance en moi, et tu sais que je ne trahirai pas, et que la partie est liée entre nous. La victoire de l’un est la victoire de l’autre.

Mais comme on approchait de la rue Auber, une porte cochère s’ouvrit brusquement sur la gauche, la voiture tourna sans que le train fût ralenti, et pénétra dans une cour.

Trois hommes se présentèrent de chaque côté, Raoul fut happé brutalement et enlevé avant même d’esquisser un geste de résistance.

Il eut juste le temps de distinguer la voix de Joséphine Balsamo qui, restée dans la voiture, commandait.

— Gare Saint-Lazare, et vivement !

Déjà les hommes le précipitaient à l’intérieur d’une maison et le jetaient dans une pièce à moitié obscure dont la porte massive fut barricadée derrière lui.

L’allégresse qui bouillonnait en Raoul était si forte qu’elle ne retomba pas aussitôt. Il continua de rire et de plaisanter, mais avec une rage croissante qui altérait le timbre de sa voix.

— À mon tour !… Bravo Joséphine… Ah ! quel coup de maître ! Voilà qui est envoyé ! En pleine cible !… Et, vrai, je ne m’y attendais pas. Non, mais ce que ça devait t’amuser, mes chants de triomphe : « Je suis fait pour la conquête ! pour l’extraordinaire et le fabuleux ! » Idiot, va ! Quand on est capable de pareilles boulettes, on ferme la bouche. Quelle dégringolade !

Il se rua sur la porte. À quoi bon ! une porte de prison. Il essaya de grimper vers un petit vasistas qui laissait filtrer une lumière jaunâtre. Mais comment l’atteindre ? D’ailleurs, un léger bruit attira son attention, et, dans la pénombre, il s’aperçut qu’un des murs, à l’angle même du plafond, était percé d’une sorte de meurtrière par où jaillissait le canon d’un fusil braqué en plein sur lui, se déplaçant et s’immobilisant dès que lui-même se déplaçait ou restait immobile.

Toute sa colère se tourna vers le tireur invisible qu’il accabla généreusement d’invectives :

— Canaille ! Misérable ! Descends donc de ton trou pour voir comment je m’appelle. Quel métier tu fais ! Et puis, va dire à ta maîtresse qu’elle ne l’emportera pas en paradis et qu’avant peu…

Il s’arrêta soudain. Tout ce verbiage lui semblait stupide et, passant de la colère à une résignation subite, il s’étendit sur un lit de fer dressé dans une alcôve qui formait aussi cabinet de toilette.

— Après tout, dit-il, tue-moi si ça te plait, mais laisse-moi dormir…

Dormir, Raoul n’y songeait pas. Il s’agissait d’abord d’envisager la situation et d’en tirer les conclusions désagréables qu’elle comportait. Et c’était là chose facile qui se résumait en une phrase : Joséphine Balsamo se substituait à lui pour recueillir les fruits de la victoire qu’il avait préparée.

Mais quels moyens d’action fallait-il qu’elle eût à sa disposition pour avoir réussi en si peu de temps ! Raoul ne doutait pas que Léonard, accompagné d’un autre complice et d’une autre voiture, ne les eût suivis jusque chez Beaumagnan et ne se fût aussitôt concerté avec elle. Sur quoi, Léonard allait tendre le piège de la rue Caumartin, dans un logis spécialement affecté à cet usage, tandis que Joséphine Balsamo attendait.

Que pouvait-il faire, lui, à son âge, et seul, contre de tels ennemis ? D’une part Beaumagnan avec tout un monde de correspondants et d’affidés derrière lui. D’autre part Joséphine Balsamo et toute sa bande si puissamment organisée !

Raoul prit une résolution :

— Que je rentre plus tard dans le bon chemin, comme je l’espère, se dit-il, ou que je m’engage définitivement sur la route des aventures, ce qui est plus probable, je jure que, moi aussi je disposerai des moyens d’action indispensables. Malheur aux solitaires ! Il n’y a que les chefs qui atteignent le but. J’ai dominé Joséphine, et cependant, c’est elle qui, ce soir, mettra la main sur le coffret précieux, tandis que Raoul gémit sur la paille humide.

Il en était là de ses réflexions lorsqu’il se sentit envahi d’une torpeur inexplicable qui s’accompagnait d’un malaise général. Il lutta contre ce sommeil insolite. Mais, très rapidement, son cerveau s’em-