Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/76

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« Or, à la suite d’un malentendu passager… qui s’est élevé entre sa maîtresse et lui, cette femme vient de découvrir que Raoul correspondait avec vous et vous écrivait une lettre que voici, où il vous demandait pardon et vous donnait confiance en l’avenir. Comprenez-vous maintenant que j’ai quelque droit de vous traiter en ennemie… et même en ennemie mortelle ? » ajouta sourdement la Cagliostro.

Clarisse se taisait. La peur montait en elle, et elle considérait avec une appréhension croissante le doux et terrifiant visage de celle qui lui avait pris Raoul et qui se proclamait son ennemie.

Frissonnant de pitié, et sans redouter la colère de Joséphine Balsamo, Raoul répéta gravement :

— S’il y a eu de ma part un serment solennel, et que je suis résolu à tenir envers et contre tous, Clarisse, c’est celui par lequel j’ai juré que pas un cheveu de votre tête ne serait touché. Soyez sans crainte. Avant dix minutes, vous sortirez d’ici, saine et sauve. Dix minutes, Clarisse, pas davantage.

Joséphine Balsamo ne releva pas l’apostrophe. Posément, elle reprit :

— Voilà donc, notre situation réciproque bien établie. Passons aux faits, et là, de même je serai très brève. Votre père, mademoiselle, son ami Beaumagnan, et leurs complices, poursuivent une entreprise commune, que je poursuis de mon côté, et après laquelle Raoul s’acharne également. D’où, entre nous, une guerre incessante. Or, les uns comme les autres, nous sommes entrés en relation avec une dame Rousselin, laquelle possédait un coffret ancien dont nous avons besoin pour réussir, et dont elle s’était dessaisie en faveur d’une autre personne.

» Nous l’avons interrogée de la manière la plus pressante, sans toutefois obtenir d’elle le nom de cette personne qui, paraît-il, l’avait comblée de bienfaits et qu’elle ne voulait pas compromettre par une indiscrétion. Tout ce qu’il nous fut possible d’apprendre, c’est une vieille histoire que je vais vous résumer, et dont vous suivrez tout l’intérêt à notre point de vue… et au vôtre, mademoiselle. »

Raoul commençait à discerner le chemin suivi par la Cagliostro et le but où elle devait inévitablement aboutir. C’était si effroyable qu’il lui dit avec un accent de colère :

— Non, non, pas cela, n’est-ce pas ? pas cela ! il y a des choses qui doivent rester cachées…

Elle ne parut pas entendre et continua, inexorable :

— Voici. Il y a vingt-quatre ans, pendant la guerre entre la France et la Prusse, deux hommes qui fuyaient les envahisseurs et qui s’en allaient sous la conduite du sieur Rousselin, tuèrent aux environs de Rouen, pour lui voler son cheval, un domestique du nom de Jaubert. Avec le cheval, ils purent se sauver, emportant en plus un coffret qu’ils avaient dérobé à leur victime et qui contenait les bijoux les plus précieux.

» Plus tard, le sieur Rousselin qu’ils avaient emmené de force, et à qui ils avaient donné pour sa part quelques bagues sans valeur, revint à Rouen près de sa femme et y mourut presque aussitôt tellement ce meurtre et sa complicité involontaire l’avaient déprimé. Or, des relations s’établirent entre la veuve et les assassins, ceux-ci redoutant quelque bavardage et il arriva… Mais je suppose, mademoiselle, que vous comprenez exactement de qui il s’agit, n’est-ce pas ? »

Clarisse écoutait avec un effarement si douloureux que Raoul s’écria :

— Tais-toi, Josine, pas un mot de plus ! C’est l’action la plus vile et la plus absurde. À quoi bon ?

Elle lui imposa silence.

— À quoi bon ? fit-elle. Parce que toute la vérité doit être dite. Tu nous as jetées, elle et moi, l’une contre l’autre. Qu’il y ait donc égalité entre elle et moi dans la souffrance.

— Ah ! sauvage, murmura-t-il avec désespoir.

Et Joséphine Balsamo se retournant vers Clarisse, précisa :

— Votre père et votre cousin Bennetot suivirent donc de près la veuve Rousselin, et c’est évidemment au baron d’Étigues qu’elle dut son installation à Lillebonne, où il lui fut plus facile de la surveiller. Du reste, avec les années, il se trouva quel-