Aller au contenu

Page:Leblanc - La Demeure mystérieuse, paru dans Le Journal, 1928.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ne, à la tête d’une grande maison de couture où il y aurait une organisation nouvelle, beaucoup de bien-être… et puis surtout des dots pour les ouvrières… oui, afin que chacune de vous puisse se marier à son gré.

Elle riait gentiment de son rêve absurde. Les autres étaient graves. L’une d’elles s’essuya les yeux.

Elle poursuivit :

— Oui, des dots, de vraies dots en argent liquide… Je ne suis pas bien instruite… Je n’ai même pas mon brevet… Mais, tout de même, j’ai écrit une notice sur mes idées avec des chiffres et des fautes d’orthographe. À vingt ans on aura sa dot… et puis un trousseau pour le premier enfant… et puis…

— Arlette, au téléphone !

La directrice des ateliers avait ouvert la porte et appelait la jeune fille.

Celle-ci se dressa, pâle tout à coup et anxieuse.

— Maman est malade, chuchota-t-elle…

On savait, chez le couturier Chernitz, que seules étaient transmises aux employées les communications sérieuses, concernant un deuil de famille ou une maladie. Et l’on savait aussi qu’Arlette adorait sa mère, qu’elle était fille naturelle, et qu’elle avait deux sœurs, anciens mannequins, qui s’étaient enfuies à l’étranger avec des hommes.

Dans le silence, Arlette osait à peine avancer.

— Dépêchez-vous, insista la directrice.

Le téléphone se trouvait dans la pièce voisine. Pressées contre la porte entrouverte, les jeunes filles entendirent la voix défaillante de leur camarade qui balbutiait :

— Maman est malade, n’est-ce pas ? C’est son cœur ? Mais qui est à l’appareil ?… C’est vous, madame Louvain ?… Je ne reconnais pas votre voix… Et alors, un docteur ? Lequel, dites-vous ? Le docteur Bricou, rue du Mont-Thabor, n°3 bis ?… Il est prévenu ? Et je dois venir avec lui ? Bien, j’y vais.

Sans un mot, toute tremblante, Arlette empoigna son chapeau dans un placard et se sauva. Ses camarades se précipitèrent vers la fenêtre et la virent, à la clarté des réverbères, qui courait en regardant les numéros. Tout au bout, à gauche, devant le 3 bis sans doute, elle s’arrêta. Il y avait une auto, et, sur le trottoir, se tenait un monsieur dont on ne voyait guère que la silhouette et les chaussures à tige claire. Il se découvrit et lui adressa la parole. Elle monta dans l’auto. Le monsieur également. La voiture fila par l’autre bout de la rue.

— C’est drôle, dit un mannequin, je passe tous les jours là-devant. Je n’ai jamais vu la moindre plaque de docteur sur une maison. Le docteur Bricou au 3 bis, tu connais ça, toi ?

— Non. La plaque de cuivre est peut-être sous la porte cochère.

— En tout cas, proposa la directrice, on pourrait consulter l’annuaire téléphonique… et le Tout-Paris…

On se hâta vers la pièce voisine et