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Page:Leblanc - La Demeure mystérieuse, paru dans Le Journal, 1928.djvu/19

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Et, comme Arlette hésitait, il lui dit :

— Ne vous occupez pas de ces deux messieurs. Ils ne sont pas là. Ils sont sortis. Donc, raconte, ma petite Arlette. Je te tutoie parce que j’ai promené mes lèvres sur tes joues qui sont plus douces que du velours, et que cela me donne les droits d’un amoureux.

Arlette rougit. Régine riait et la pressait de parler. Van Houben et Béchoux qui voulaient savoir et profiter de la conversation semblaient cloués au sol comme des bonshommes de cire. Et Arlette dit toute son histoire, ainsi que le lui avait demandé cet homme à qui ni elle ni les autres ne paraissaient capables de résister.

Il écoutait, sans un mot. Parfois, Régine approuvait.

— C’est bien cela… un perron de six marches… Oui, un vestibule dalle noir et blanc… et, au premier, en face, le salon avec des meubles en soie bleue.

Quand Arlette eut fini, d’Enneris arpenta la pièce, les mains au dos, colla son front à la vitre, et réfléchit assez longtemps. Puis il conclut, entre ses dents :

— Difficile… difficile… Néanmoins quelques lueurs… ces premières lueurs blanches qui indiquent l’issue du tunnel.

Il reprit place sur le canapé et dit aux jeunes femmes :

— Voyez-vous, quand il y a deux aventures d’un parallélisme aussi marqué, avec procédés analogues et même protagonistes — car l’identité du couple ennemi est indéniable — il faut découvrir le point par où lesdites aventures se distinguent l’une de l’autre, et, quand on l’a découvert, ne plus s’en écarter avant d’en avoir déduit toutes les certitudes. Or, toutes réflexions faites, le point sensible me paraît résider dans la différence des motifs qui ont amené votre enlèvement, Régine, et votre enlèvement, Arlette.

Il s’interrompit un instant et se mit à rire.

— Ça n’a l’air de rien ce que je viens de formuler, ou tout au plus d’une vérité de La Palice, mais je vous affirme, moi, que c’est rudement fort. La situation se simplifie tout à coup. Vous, ma belle Régine, pas la moindre espèce de doute, vous avez été enlevée à cause des diamants que ce brave Van Houben pleure de toutes ses larmes. Là-dessus, pas d’objections, et je suis certain que M. Béchoux, lui-même, s’il était là, serait de mon avis.

M. Béchoux ne souffla pas mot, attendant la suite du discours, et Jean d’Enneris se tourna vers son autre compagne.

— Quant à toi, la jolie Arlette, aux joues plus douces que le velours, pourquoi a-t-on pris la peine de te capturer ? Toutes tes richesses doivent tenir à peu près dans le creux de ta main, n’est-ce pas ?

Arlette aux joues plus douces que le velours, comme il disait, montra ses deux paumes.

— Toutes nues, s’écria-t-il. Donc l’hypothèse du vol est écartée, et nous devons considérer comme seuls mobiles l’amour, la vengeance ou telle combinaison propre à l’exécution d’un plan que tu peux faciliter, ou bien auquel tu peux mettre obstacle. Pardonne-moi mon indiscrétion, Arlette, et réponds sans pudeur. As-tu aimé jusqu’ici ?

— Je ne crois pas, dit-elle.

— As-tu été aimée ?

— Je ne sais pas.

— Cependant on t’a fait la cour, n’est-ce pas ? Pierre et Philippe…

Elle protesta ingénument :

— Non, ils s’appelaient Octave et Jacques.

— D’honnêtes garçons, cet Octave et ce Jacques ?

— Oui.

— Donc incapables d’avoir marché dans toutes ces combinaisons ?

— Incapables.

— Alors ?

— Alors, quoi ?

Il se pencha sur elle, et, doucement, de toute son influence pénétrante, il murmura :

— Cherche bien, Arlette. Il ne s’agit pas d’évoquer les faits extérieurs et visibles de ta vie, ceux qui t’ont frappée et que tu aimes ou n’aimes pas te rappeler, mais ceux qui ont à peine effleuré ta conscience et que tu as pour ainsi dire oubliés. Tu n’aperçois rien d’un peu spécial, d’un peu anormal ?

Elle sourit.

— Ma foi, non… rien du tout…

— Si. Il n’est pas admissible qu’on t’ait enlevée de but en blanc. Il y a sûrement une préparation dont certains actes t’ont frôlée, à ton insu… Cherche bien.