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— Voyons, cher ami, mes diamants ?

— J’ai bien autre chose en tête. Régine et Gilberte me prennent tout mon temps, l’une l’après-midi, l’autre le soir.

— Mais le matin ?…

— Arlette. Elle est adorable, cette enfant, fine, intelligente, intuitive, heureuse et touchante, simple comme une enfant et mystérieuse comme une vraie femme. Et si honnête ! Le premier soir, j’ai pu, par surprise, lui embrasser les joues. Fini, maintenant ! Van Houben, je crois bien que c’est Arlette que je préfère.

D’Enneris disait vrai. Son caprice pour Régine se transformait en bonne amitié. Il ne voyait plus Gilberte que dans le vain espoir d’obtenir des confidences. Mais il passait auprès d’Arlette des matinées qui le ravissaient. Il y avait en elle un charme particulier, qui venait à la fois d’une ingénuité profonde et d’un sens très sûr de la vie. Tous les rêves chimériques qu’elle faisait pour aider ses camarades prenaient une apparence d’événements réalisables quand elle les exposait en souriant.

— Arlette, Arlette, disait-il, je ne connais personne de plus clair que toi, et de plus obscur.

— Moi, obscure ? disait-elle.

— Oui, par moments. Je te comprends tout entière, sauf un certain point qui reste pour moi impénétrable, et qui, chose bizarre, n’existait pas quand je t’ai approchée pour la première fois. Chaque jour, l’énigme grandit. Énigme sentimentale, je crois.

— Pas possible ? disait-elle en riant.

— Oui, sentimentale… Tu n’aimes pas quelqu’un ?

— Si j’aime quelqu’un ? Mais tout le monde !

— Non, non, disait-il, il y a du nouveau dans ta vie.

— Je vous crois qu’il y a du nouveau ! Enlèvement, émotions, enquêtes, interrogatoires, des tas de gens qui m’écrivent, du bruit, trop de bruit autour de moi ! Il y a là de quoi faire perdre la tête à un petit mannequin !

Il hochait la tête et la regardait avec une tendresse croissante.

Cependant, au Parquet, l’instruction n’avançait pas. Vingt jours après l’arrestation de M. de Mélamare, on continuait à recueillir des témoignages sans valeur et à pratiquer des perquisitions qui ne menaient à rien. Toutes les pistes étaient mauvaises, et fausses toutes les hypothèses. On ne retrouva même pas le premier chauffeur qui avait conduit Arlette de l’hôtel Mélamare à la place des Victoires.

Van Houben maigrissait. Il ne voyait plus aucun lien entre l’arrestation du comte et le vol des diamants, et il ne se gênait pas pour suspecter tout haut les qualités de Béchoux.

Un après-midi, deux hommes sonnèrent à la porte du rez-de-chaussée que d’Enneris occupait près du parc Monceau. Le domestique ouvrit et les introduisit.

— Décampez, s’écria d’Enneris, en les rejoignant. Van Houben ! Béchoux ! eh bien, vrai, vous n’êtes pas fiers !

Ils confessèrent leur désarroi.

— C’est une de ces affaires qui se présentent mal, avoua le brigadier Béchoux piteusement. Il y a de la malchance.

— Il y a de la malchance pour les gourdes comme toi, fit d’Enneris. Enfin, je serai bon prince. Mais l’obéissance absolue, hein ? La corde au cou, et en chemise, comme les bourgeois de Calais ?

— Oui, déclara Van Houben, déjà ragaillardi par la bonne humeur de d’Enneris.

— Et toi, Béchoux ?

— Ordonne, dit Béchoux, d’une voix sinistre.

— Tu laisseras de côté la Préfecture, tu t’assiéras sur ton Parquet, puis tu proclameras que ces gens-là ne sont capables de rien, et tu me donneras des gages.

— Quels gages ?

— Des gages de collaboration loyale. Où en est-on là-bas ?

— Demain, il doit y avoir confrontation entre le comte, Régine Aubry et Arlette Mazolle.

— Fichtre ! il faut se hâter. Aucun fait n’a été caché au public ?

— Presque rien.

— Raconte.