Page:Leblanc - La Demeure mystérieuse, paru dans Le Journal, 1928.djvu/67

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Parbleu ! avec la vente d’un seul diamant !

— Leurs noms ?

— Je les ignore.

— Je vais vous renseigner, du moins en partie, fit d’Enneris en l’observant. Il y a la sœur de la revendeuse, une dame Laurence Martin, qui avait loué la boutique… Il y a un homme très vieux, qui boite.

— C’est cela ! c’est cela ! dit vivement Antoine Fagerault. Et ce sont ces trois-là que vous avez retrouvés ici, n’est-ce pas, et qui vous ont attaché ?

— Oui.

Fagerault s’était assombri. Il murmura :

— Quelle fatalité ! J’ai été prévenu trop tard… sans quoi je les empoignais.

— La justice s’en chargera. Le brigadier Béchoux les connaît maintenant tous les trois. Ils ne peuvent lui échapper.

— Tant mieux ! dit Fagerault, ce sont trois bandits redoutables, et, si on ne les coffre pas, un jour ou l’autre, ils réussiront à supprimer Arlette.

Tout ce qu’il disait semblait l’expression profonde de la vérité. Il n’hésitait jamais à répondre, et il n’y avait jamais la moindre contradiction entre les événements et la manière, si naturelle, dont il les expliquait.

— Quel fourbe ! pensait d’Enneris, qui s’obstinait à l’accuser, et qui cependant était troublé par tant de logique et de franchise.

Au fond de lui, il avait supposé que toute la nouvelle aventure d’Arlette était combinée entre Antoine Fagerault et ses trois complices, afin que Fagerault apparût comme un sauveur aux yeux d’Arlette. Mais, en ce cas, pourquoi cette mise en scène ? Pourquoi la jeune fille n’en avait-elle pas été le témoin effaré ? Et pourquoi même, vis-à-vis d’elle, Fagerault avait-il la délicatesse de ne pas se targuer de son intervention ?

À brûle-pourpoint, il dit à Fagerault :

— Vous l’aimez ?

— Infiniment, répondit l’autre avec ferveur.

— Et Arlette, elle vous aime ?

— Je le crois.

— Qu’est-ce qui vous le fait croire ?

Fagerault sourit doucement, sans fatuité, et répondit :

— Parce qu’elle m’a donné la meilleure preuve de son amour.

— Laquelle ?

— Nous sommes fiancés.

— Hein ? Vous êtes fiancés ?

Il fallut à d’Enneris un effort prodigieux de volonté pour prononcer ces mots avec un calme apparent. La blessure fut profonde. Ses poings se crispèrent.

— Oui, affirma Fagerault, depuis hier soir.

Mme Mazolle, que j’ai vue tout à l’heure, ne m’en a pas parlé.

— Elle ne le sait pas. Arlette ne veut pas encore le lui dire.

— C’est une nouvelle pourtant qui lui sera agréable.

— Oui, mais Arlette désire l’y préparer peu à peu.

— De sorte que tout s’est passé en dehors d’elle ?

— Oui.

D’Enneris se mit à rire nerveusement.

— Et Mme Mazolle qui croyait sa fille incapable de donner un rendez-vous à un homme ! Quelle désillusion !

Antoine Fagerault prononça avec gravité :

— Nos rendez-vous ont lieu dans un endroit et devant des personnes qui donneraient toute satisfaction à Mme Mazolle si elle les connaissait.

— Ah ! Et qui donc ?

— À l’hôtel de Mélamare, et en présence de Gilberte et de son frère.

D’Enneris n’en revenait pas. Le comte de Mélamare protégeait les amours du sieur Fagerault avec Arlette, Arlette fille naturelle, mannequin, et sœur de deux mannequins qui avaient mal tourné ! En vertu de quoi cette indulgence incroyable ?

— Ils sont donc au courant ? dit Jean.

— Oui.

— Et ils approuvent ?

— Entièrement.

— Toutes mes félicitations. De tels appuis sont en votre faveur. Du reste le comte vous doit beaucoup, et vous avez été longtemps l’ami de la maison.

— Il y a une autre raison, dit Fagerault, qui a renoué notre intimité.