Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/102

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Cette apparition de Clara, livide, épuisée de fatigue, tragique, les yeux brillants de fièvre, la robe salie et fripée, son col déchiré, c’était là un événement impossible. Qu’elle fût vivante, oui, mais libre, non, mille fois non ! La police ne relâche pas sa proie sans raison, surtout quand elle tient une coupable certaine, prise pour ainsi dire en flagrant délit, et, d’autre part, il n’y a pas d’exemple qu’une femme se soit évadée de la Préfecture, surtout une femme gardée, comme l’était celle-ci, par les soins de Gorgeret. Alors ?

Ils se regardaient tous deux sans prononcer un mot, lui confondu et distrait, le cerveau tout entier tendu vers une vérité inaccessible — elle, misérable, honteuse, humble, ayant l’air de dire :

« Veux-tu de moi ? acceptes-tu près de toi celle qui a tué ?… Dois-je me jeter dans tes bras ?… ou m’enfuir ?… »

À la fin, toute tremblante d’angoisse, elle chuchota :

— Je n’ai pas eu le courage de mourir… Je le voulais… plusieurs fois je me suis penchée au-dessus de l’eau… je n’ai pas eu le courage…

Il la considérait, éperdu, sans bouger, l’écoutant à peine, et cherchant, cherchant… Le problème se posait dans toute sa rigueur, dans toute sa nudité : Clara se trouvait en face de lui, et Clara se trouvait dans une cellule de la Préfecture. En dehors de ces deux termes inconciliables, il n’y avait rien, absolument rien. Raoul devait s’enfermer dans ce cercle étroit et ne pas essayer d’en sortir.

Un homme comme Arsène Lupin ne peut pas rester, au-delà d’une certaine limite, en face d’une vérité qui s’offre. Si elle s’était dérobée jusqu’ici, précisément à cause de son extrême simplicité, il fallait bien en finir avec elle.

L’aube éclairait le ciel au-dessus des arbres et se mêlait dans la pièce à la lueur électrique. Le visage de Clara en fut illuminé. Elle répéta :

— Je n’ai pas eu le courage de mourir… J’aurais dû, n’est-ce pas ? Tu m’aurais pardonné… Je n’ai pas eu le courage…

Longtemps encore il contempla cette vision de détresse et d’agonie, et, tout en l’observant, il avait une expression moins distraite et plus sereine, presque souriante à la longue. Et tout à coup, sans que rien annonçât ce dénouement insolite, il éclata de rire. Et ce ne fut pas un rire bref, un rire contenu, aussitôt dominé par le pathétique de la minute présente, mais un de ces rires qui vous courbent en deux et dont on dirait qu’ils ne finiront jamais.

Et cette gaieté intempestive s’accompagna d’ailleurs d’une petite danse qui en souligna le caractère