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Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/105

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lirait à moitié, elle me dit ces paroles dont je n’ai pas oublié une seule :

« Il faudra que tu saches tout sur ta naissance, Clara, et que tu saches le nom de ton père… J’étais à Paris, toute jeune, très sérieuse à cette époque, et je travaillais comme couturière en journée dans une famille où j’ai connu un homme qui s’est fait aimer de moi et qui m’a séduite. J’ai été très malheureuse, parce qu’il avait d’autres maîtresses… Cet homme m’a quittée, quelques mois avant ta naissance, et il m’a envoyé de l’argent pendant une année ou deux… Et puis, il est parti en voyage… Je n’ai jamais cherché à le revoir, et il n’a plus jamais entendu parler de moi. Il était marquis… très riche… je te dirai son nom… »

« Le même jour, ma pauvre maman, dans une sorte de rêve, me raconta encore, à propos de mon père :

« Il a eu comme maîtresse, un peu avant moi, une demoiselle qui donnait des leçons en province et j’ai appris par hasard qu’il l’avait abandonnée avant de savoir qu’elle était enceinte. Dans une excursion de Deauville à Lisieux, j’ai rencontré, il y a quelques années, une petite fille de douze ans qui te ressemblait à s’y méprendre, Clara. Je me suis renseignée. Elle s’appelait Antonine, Antonine Gautier…

« C’est tout ce que j’ai su de mon passé par maman. Elle mourut avant de me dire le nom de mon père. J’avais dix-sept ans. Dans ses papiers, je ne trouvai qu’un renseignement, la photographie d’un grand bureau Louis XVI avec l’indication (de son écriture) d’un tiroir secret et la façon d’ouvrir ce tiroir. À ce moment, je n’y fis guère attention. Comme je te l’ai dit, il m’a fallu travailler. Et puis j’ai dansé… Et j’ai connu Valthex il y a dix-huit mois. »

Clara s’interrompit. Elle semblait épuisée. Cependant elle voulut continuer.

— Valthex, qui n’était pas très expansif, ne faisait jamais allusion à ses affaires personnelles. C’est un jour, où je l’avais attendu sur le quai Voltaire, qu’il me parla du marquis d’Erlemont avec lequel il était en relations suivies. Il sortait de chez lui, et il avait beaucoup admiré de vieux meubles, en particulier un très beau bureau Louis XVI. Un marquis… un bureau… Un peu au hasard je l’interrogeai sur ce bureau. Mes soupçons se précisèrent, et j’eus vraiment l’impression qu’il s’agissait du meuble dont je possédais la photographie, et que le marquis pouvait bien être l’homme qui avait aimé ma mère. Tout ce qu’il me fut possible d’apprendre sur lui me confirma dans mes impressions.