Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/104

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— Un peu folle ? fit-elle. Tu sais bien que je ne le suis pas et que tout ce que je dis est vrai. Avoue-le… avoue-le…

Il haussa les épaules et lui ordonna gentiment :

— Raconte, ma chérie. Quand tu auras raconté ton histoire en la prenant du début, tu verras combien tu as été injuste en te défiant de moi. Toutes les misères actuelles, tout le drame où nous nous débattons, viennent de ton silence… Raconte, ma chérie.

Elle obéit et parla, d’une voix basse, après avoir essuyé avec le drap les dernières larmes qui s’obstinaient à couler.

— Je ne mentirai pas, Raoul. Je n’essaierai pas de te montrer mon enfance autrement qu’elle n’a été… celle d’une petite fille qui n’était pas heureuse. Ma mère, qui s’appelait Armande Morin, ma mère m’aimait bien… seulement il y avait la vie… la sorte de vie qu’elle menait et qui ne lui permettait pas de s’occuper beaucoup de moi. Nous habitions à Paris un appartement toujours plein d’allées et venues… Il y avait un monsieur qui commandait… qui arrivait avec beaucoup de cadeaux… et des provisions et des bouteilles de champagne… un monsieur qui n’était pas toujours le même, et, parmi ces messieurs qui se succédaient, il y en avait d’aimables avec moi, ou de désagréables… et ainsi je venais au salon… ou bien je restais à l’office avec les domestiques… Et puis nous avons déménagé plusieurs fois, et, chaque fois, c’était pour habiter des logements plus petits, jusqu’au jour où ce fut une chambre.

Elle fit une pause, et reprit, plus bas :

— Cette pauvre maman était malade. Elle avait vieilli d’un coup. Je la soignais… Je faisais le ménage… Je lisais aussi les livres de l’école où je ne pouvais plus aller. Elle me regardait tristement travailler. Un jour qu’elle dé-