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Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/137

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Sans la toucher, et sans qu’elle en eût conscience, Raoul l’entraînait un peu plus loin, de façon qu’on ne pût les voir de nul endroit du parc. Entre un vaste pan de mur, vestige de l’ancien donjon, et un amas de ruines écroulées, il y avait un espace vide, large de dix mètres peut-être, qui dominait le précipice et qui était bordé par une toute petite murette de pierres sèches. Cela formait comme une pièce isolée, dont la large fenêtre s’ouvrait, par-dessus le gouffre où coulait la rivière, sur un horizon merveilleux de plaines ondulées.

Ce fut Antonine qui parla, et d’une voix moins anxieuse :

— Je ne sais pas ce qui va advenir… mais j’ai moins peur… et je veux vous remercier de la part de M. d’Erlemont… Il gardera le château, n’est-ce pas, comme vous le lui avez proposé ?

— Oui.

— Autre chose… je voudrais savoir… et vous seul pouvez me répondre… Le marquis d’Erlemont est mon père ?

— Oui. J’ai pris connaissance de la lettre, très explicite, que vous lui avez remise de la part de votre mère.

— Je ne doutais guère de la vérité, mais je n’avais aucune preuve. Et cela mettait de la gêne entre nous. Je suis heureuse puisque je pourrai me laisser aller à mon affection. Il est aussi le père de Clara, n’est-ce pas ?

— Oui, Clara est votre demi-sœur…

— Je le lui dirai.

— Je suppose qu’il l’aura deviné.

— Je ne le crois pas. En tout cas, ce qu’il fera pour moi, je veux qu’il le fasse pour elle. Un jour, je la verrai, n’est-ce pas ? Qu’elle veuille bien m’écrire…

Elle parlait simplement, sans emphase ni excès de gravité. Un peu de son sourire adorable relevait, de nouveau, le coin de ses lèvres. Raoul frissonna, et ses yeux ne quittaient pas les jolies lèvres.

Elle murmura :

— Vous l’aimez bien, n’est-ce pas ?

Il dit à voix basse, et en la regardant profondément :

— Je l’aime à travers votre souvenir, et avec un regret qui ne s’en ira pas. Ce que j’aime en elle, c’est la première image de la jeune fille qui est entrée chez moi, le jour de son arrivée à Paris. Cette jeune fille a un sourire que je n’oublierai jamais, et quelque chose de spécial