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Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/136

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abords du château, tous les murs d’enceinte qui aboutissent à gauche et à droite des ruines et se relient à ce promontoire abrupt, tout cela est gardé. Brigade de gendarmerie, inspecteurs de Paris, commissaires de la région, tout le monde est sur pied.

Le timbre de la cour d’entrée retentit.

Gorgeret annonça :

— Première vague d’assaut. Dès que cette équipe-là sera introduite, un second coup de sifflet déclenchera l’attaque. Si tu essaies de fuir, on t’abat comme un chien, à coups de fusil. Les ordres sont formels.

Le marquis intervint.

— Monsieur l’inspecteur, je n’admets pas qu’on pénètre chez moi sans mon autorisation. Cet homme avait rendez-vous avec moi. Il est mon hôte. Il m’a rendu service. Les portes ne seront pas ouvertes. D’ailleurs j’ai la clef.

— On les démolira, monsieur le marquis.

— À coups de bélier ? ricana Raoul. À coups de hache ? Tu n’auras pas fini avant la nuit. Et, d’ici là, où serai-je ?

— À coups de dynamite ! gronda Gorgeret.

— Tu en as dans tes poches ?

Raoul le prit à part.

— Deux mots, Gorgeret. Étant donné ma conduite depuis une heure, je pouvais espérer que nous sortirions tous deux d’ici, bras dessus bras dessous, comme deux copains. Puisque tu t’y refuses, je te supplie de renoncer à ton plan d’attaque, de ne pas démolir des portes historiques, et de ne pas m’humilier devant une dame à l’estime de laquelle je tiens infiniment.

Gorgeret l’épia du coin de l’œil et dit :

— Tu te fous de moi ?

Raoul fut indigné.

— Je ne me fous pas de toi, Gorgeret. Seulement, je désire que tu envisages toutes les conséquences de la bataille.

— Je les envisage toutes.

— Sauf une !

— Laquelle ?

— Si tu t’entêtes, eh bien, dans deux mois…

— Dans deux mois ?

— Je m’offre un petit voyage de quinze jours avec Zozotte.

Gorgeret se redressa, la figure empourprée, et lui jeta d’une voix sourde :

— J’aurai d’abord ta peau !

— Allons-y, s’écria Raoul joyeusement.

Et s’adressant à Jean d’Erlemont :

— Monsieur, je vous en conjure, accompagnez le sieur Gorgeret, et faites ouvrir toutes grandes les portes du château. Je vous donne ma parole que pas une goutte de sang ne sera versée, et que tout se passera de la façon la plus tranquille et la plus décente — entre gentilshommes.

Raoul avait trop d’autorité sur Jean d’Erlemont pour que celui-ci n’acceptât point une solution, qui, au fond, le tirait d’embarras.

— Tu viens, Antonine ? dit-il en s’en allant.

Gorgeret exigea :

— Toi aussi, Raoul, viens.

— Non, moi, je reste.

— Tu espères peut-être te sauver pendant que je serai là-bas ?

— C’est une chance qu’il te faut courir, Gorgeret.

— Alors, je reste aussi… je ne te lâche pas d’une semelle.

— Alors, je te ficelle et te bâillonne comme l’autre fois. Choisis.

— Enfin que veux-tu ?

— Fumer une dernière cigarette avant d’être capturé.

Gorgeret hésita. Mais qu’avait-il à redouter ? Tout était prévu. Aucune fuite possible. Il rejoignit le marquis d’Erlemont.

Antonine voulut les suivre, mais n’en eut pas la force. Sa pâle figure trahissait une angoisse extrême. La forme même du sourire avait quitté ses lèvres.

— Qu’est-ce que vous avez, mademoiselle ? lui dit Raoul, doucement.

Elle le supplia, avec une expression de détresse.

— Mettez-vous à l’abri quelque part… il doit y avoir des cachettes sûres.

— Pourquoi me cacher ?

— Comment ! Alors, ils vont vous prendre !

— Jamais de la vie. Je vais m’en aller.

— Il n’y a pas d’issue.

— Ce n’est pas une raison pour que je ne m’en aille pas.

— Ils vous tueront.

— Et cela vous ferait de la peine ? Vous auriez donc quelque regret s’il arrivait malheur à celui qui vous a outragée, un jour, dans ce château ? Non… ne répondez pas… Nous avons si peu de temps à rester ensemble !… quelques minutes à peine… et je voudrais vous dire tant de choses !…