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Raoul, qu’elle connaît la cachette. Elle agit en personne avertie.

De fait — et durant tout ce temps la figure demeura dans l’ombre — elle contourna le bureau, se courba, enleva le tiroir principal, manœuvra comme il le fallait, et fit sortir le tiroir intérieur. Alors, elle agit exactement à la façon de Raoul. Elle ne se soucia point des billets de banque et se mit à compulser les photographies, comme si son but avait été de les considérer et d’en découvrir une plus spécialement que les autres.

Elle allait vite. Aucune curiosité ne l’incitait. Elle cherchait d’une main fébrile, une main dont il apercevait la blancheur et la finesse.

Elle trouva. Autant qu’il en put juger, c’était une photographie de grandeur intermédiaire, une treize-dix-huit. Elle la contempla longtemps, puis retourna le carton, lut l’inscription, et poussa un soupir.

Elle était si absorbée que Raoul résolut d’en profiter. Sans qu’elle entendît et sans qu’elle pût voir, il s’approcha du commutateur, observa la silhouette penchée, et d’un coup alluma. Puis, en hâte, il courut vers la femme qui avait jeté un cri d’effroi et qui s’enfuyait.

— Ne te sauve pas, la belle. Je ne te ferai aucun mal.

Il la rejoignit, la saisit par le bras, puis, brusquement, et malgré sa résistance, lui tourna la tête.

— Antonine ! murmura-t-il stupéfait, en reconnaissant sa visiteuse involontaire de l’après-midi.

Pas une seconde il n’avait soupçonné la vérité. Antonine, la petite provinciale dont l’air ingénu et les yeux candides l’avaient conquis ! Elle demeurait en face de lui, éperdue, le visage crispé. Et ce dénouement imprévu le troubla si vivement qu’il se mit à ricaner.

— Voilà donc la raison de votre démarche auprès du marquis, tantôt ! Vous étiez venue en reconnaissance… Et puis, ce soir…

Elle semblait ne pas comprendre, et elle balbutia :

— Je n’ai pas volé… Je n’ai pas touché aux billets…

— Moi non plus… Tout de même nous ne sommes pas venus là pour prier la Sainte Vierge.

Il lui serrait le bras. Elle tâcha de se dégager, tout en gémissant :

— Qui êtes-vous ? Je ne vous connais pas…

Il éclata de rire.

— Ah ! ça ce n’est pas gentil. Comment ! après notre entrevue d’aujourd’hui dans mon petit entresol, vous me demandez qui je suis ? Quel manque de mémoire ! Et moi qui croyais avoir fait sur vous tant d’impression, jolie Antonine !

Âprement, elle répliqua :

— Je ne m’appelle pas Antonine.

— Parbleu ! je ne m’appelle pas non plus Raoul. On a des noms par douzaines dans notre métier.

— Quel métier ?

— La cambriole !

Elle se révolta :

— Non ! non ! moi, une cambrioleuse !

— Dame ! que vous chipiez une photographie plutôt que de l’argent, ça prouve que cette photographie a pour vous de la valeur, et que vous ne pourriez vous la procurer qu’en opérant à la façon d’une souris d’hôtel… Montrez-la-moi, cette photo précieuse que vous avez empochée en me voyant.

Il essayait de la contraindre. Elle se débattait dans ces bras puissants qui la pressaient, et, s’excitant à la lutte, il l’eût embrassée si, par un sursaut d’énergie, elle n’eût réussi à s’échapper.

— Bigre ! dit-il, on fait sa mijaurée. Qui aurait supposé tant de pudeur chez la maîtresse du grand Paul ?

Elle parut bouleversée et chuchota :

— Hein ? Qu’est-ce que vous dites ?… Le grand Paul… Qui est-ce ?… Je ne sais pas ce que vous voulez dire.

— Mais si, fit-il en la tutoyant, tu le sais très bien, ma jolie Clara.

Elle répéta, de plus en plus troublée :

— Clara… Clara… Qui est-ce ?

— Rappelle-toi… Clara la Blonde ?

— Clara la Blonde ?