Aller au contenu

Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/61

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Une gaze d’or à mailles très fines cachait une partie de la tête et la figure. Il s’en échappait des boucles légères d’admirables cheveux blonds.

— Crebleu ! fit Raoul entre ses dents.

— Quoi ? demanda Gorgeret, qui se trouvait à côté de lui.

— Rien… Rien…

Mais Raoul regardait avec une curiosité ardente ces cheveux blonds, cette silhouette…

Elle dansa, très doucement d’abord, se déplaçant par mouvements invisibles et gardant une attitude fixe, où l’on ne pouvait discerner le moindre frissonnement du corps. Ainsi fit-elle deux fois le tour de la scène, dressée sur les pointes de ses pieds nus.

— Non, mais pigez-moi la tête du grand Paul, murmura Gorgeret.

Raoul fut interdit. Toute la face de l’homme était tordue par une attention forcenée, douloureuse dans son intensité. Pour mieux voir, il haussait encore sa taille. Ses yeux étaient braqués éperdument sur la danseuse masquée.

Gorgeret fit entendre un rire sournois.

— Dites donc, c’est les cheveux blonds qui le mettent dans cet état ? Ça lui rappelle sa Clara… À moins que… à moins que…

Il hésitait à exprimer sa pensée imprévue. À la fin, il acheva par bribes :

— À moins que… Mais oui… c’est peut-être bien elle, sa donzelle… la vôtre. Ce serait rigolo !

— Vous êtes fou ! répliqua sèchement Raoul.

Mais, lui aussi, l’idée l’avait assailli dès le premier moment. D’abord, il n’avait vu que l’exacte similitude des cheveux et de leur couleur, et la légèreté pareille de leurs boucles. Et puis, l’émotion de Valthex, son effort visible pour écarter le masque d’or et pour atteindre la réalité du visage le frappaient vivement. C’est qu’il savait, lui, Valthex, c’est qu’il devait savoir les dons de Clara comme danseuse, c’est qu’il l’avait vue sans doute danser sur d’autres scènes, dans d’autres pays, et qu’il n’ignorait rien de cette grâce enfantine et de cette vision de rêve et de fantaisie.

« C’est elle… c’est elle… », se disait Raoul.

Et pourtant, était-ce possible ? Comment admettre que la petite provinciale, fille du marquis d’Erlemont, possédât cette science et ce métier ? Comment concevoir qu’elle eût eu le temps, au retour de Volnic, de rentrer chez elle, de s’habiller et de venir ?

Mais, au fur et à mesure qu’il énonçait des objections, celles-ci s’effondraient sous l’assaut des arguments contraires. Dans le tumulte de son cerveau, la chaîne des faits probables se formait de la façon la plus logique. Non, ce n’était peut-être pas elle, mais devait-on nier aveuglément que ce pouvait être elle ?

Là-bas, elle s’animait peu à peu, dans l’agitation croissante du public. Elle tournait sur elle-même, avec des gestes précis, qui s’arrêtaient net et qui reprenaient brusquement au rythme scandé de l’orchestre. Puis ses jambes fusèrent, et ce fut cela surtout qui déchaîna l’enthousiasme, ses fines jambes d’un adorable modelé, et qui étaient plus vivantes, plus souples et plus déliées que les bras les plus sinueux.

Gorgeret remarqua :

— Le grand Paul a l’air de se faufiler vers les coulisses. Je crois qu’on passe comme on veut.

De fait, au bout du promenoir, à droite et à gauche, on y accédait par une rampe au haut de laquelle un contrôleur tâchait vainement de contenir les indiscrets.

— Oui, dit Raoul, après avoir constaté la manœuvre du grand Paul, oui, il va essayer de l’approcher dans les coulisses. Dis donc, tes hommes devraient se masser à la sortie des artistes qui doit être sur l’avenue latérale et se tenir prêts à entrer par là, en cas d’alerte.