Aller au contenu

Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Oui, mais de la branche, hein ? Tu ne l’as jamais rencontré comme ça ?…

— Si… si… je crois… dans des tripots… Mais je ne me doutais pas. Quel est son véritable nom ?

— Il te le dira, si ça lui chante… Mais surtout, pas de scandale inutile… et pas trop de hâte… Tu l’arrêteras quand il s’en ira, et qu’on saura ce qu’il est venu faire.

Gorgeret alla s’entretenir avec ses hommes, leur montra le grand Paul, et rejoignit Raoul. Ils entrèrent, tous deux, sans se parler. Le grand Paul avait pris la gauche. Ils prirent la droite.

L’animation croissait dans la grande rotonde où s’enchevêtraient vingt rayons bleus de toutes nuances, qui jouaient, se battaient, et se confondaient. Autour des tables, se pressaient deux fois plus de personnes qu’il n’eût fallu. On chantait beaucoup. Une maison de champagne qui voulait se lancer remplissait toutes les coupes que l’on tendait.

La nouveauté du spectacle consistait en ceci que l’on dansait dans l’espace réservé au centre, et qu’après chaque danse commençait un numéro de café-concert sur une petite scène aménagée au fond. L’alternance était rapide, immédiate. Tout se passait d’une façon haletante, sur un rythme trépidant. Et les spectateurs reprenaient les refrains en chœur.

Gorgeret et Raoul, debout dans le promenoir de droite, le visage à demi caché par leur programme, ne quittaient pas des yeux Valthex qui, vingt pas plus loin, dissimulait autant que possible sa haute taille en voûtant les épaules. En arrière de lui, les hommes de Gorgeret rôdaient, surveillés par l’inspecteur.

Un numéro de jongleurs hindous fut suivi d’un tango dans la salle. Une valse précéda un numéro comique. Puis des acrobates, des tours de chant, de la barre fixe, et toujours des danses. La foule devenait houleuse, ivre de bruit et de gaieté factice. Entre elle et une troupe de clowns, il y eut des apostrophes et des clameurs.

Mais voici que sur la scène fut apporté un grand panneau où se dessinait, en affiche multicolore, la silhouette fine d’une danseuse au visage voilé, avec cette inscription qu’annoncèrent en même temps vingt écrans lumineux : « la Danseuse masquée ». L’orchestre retentit. Et la danseuse bondit hors des coulisses, vêtue de rubans qui s’entrecroisaient sur ses épaules et sur sa poitrine, et d’une ample jupe bleue, constellée d’or, d’où jaillissaient, au moindre mouvement, ses jambes nues.

Elle s’immobilisa un instant, pareille à la plus gracieuse Tanagra.