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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/120

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LA MACHINE À COURAGE

ovale envoyant le son en distributeur automatique, j’aurais voulu fuir. Au concert symphonique je voudrais ne pas voir ― malgré moi j’évoque un concert de singes en porcelaine de Saxe… C’est par réaction autant que par choix que je me présentais à vingt ans sur les estrades de concerts vêtue d’un fourreau de velours ivoire ou de satin noir ― pas de gants, pas de bijoux, exactement les robes logiques que l’on fait aujourd’hui. Cette tenue que l’on jugeait alors scandaleuse était parfaitement convenable mais elle ne venait pas à son heure, c’était assez pour qu’on ne me la pardonnât point.

Le concert me plaît quand je peux créer une atmosphère amicale — quelque chose de simple et de vital. Je le pouvais sur ma petite scène à Washington square. Souvent j’ai parlé autant que chanté. J’aime causer avec mon public tout près de ma pensée, dans une intimité sans ornements, sans vanité. Je venais m’asseoir au bord de la scène et je commençais par n’importe quelle improvisation, comme pour tâter l’air. On me posait des questions ― j’adorais cela. Je pouvais être vraie, rester près de la vie ― je hais tout ce qui s’oppose à la vie. Le soir de la mort de Sarah, en arrivant sur ma scène, presque malgré moi, je dis mon émotion. On me pria de continuer… si bien qu’il n’y eut pas de musique ce soir-là. Peut-être est-il plus facile d’établir une communication entre des races différentes. Alors même que l’on connaît la langue, l’esprit passe avant les mots. Les mots remis à leur place ― moyen d’expression plus que moyen de comprendre.

Mes programmes, que je changeais chaque semaine, s’étendaient des grands classiques français aux musiciens ultra-modernes. Des artistes d’avant garde m’avaient peint des toiles de fond. Tout fonctionnait à la perfection. Physiquement, j’avais trouvé mon axe. Je vivais à deux temps ― rythme du Nouveau-Monde. Mon club avait attiré l’attention. Des articles me furent demandés. Tout me semblait facile, et, disposant de peu de temps, je trouvais du temps pour tout.


C’était le soir de mon soixante-deuxième concert. Plusieurs