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LA MACHINE À COURAGE

leur vêtement de toile cirée — mais ce qui me ravissait le plus, c’était les piles de papier à l’adresse de mon business. J’avais un but précis — j’établirais une agence internationale qui assurerait aux artistes de tous les pays aide et protection dès leur arrivée. Cette idée brille encore dans mon souvenir comme brillaient les lettres d’or de mon nom sur la porte de Fisk Building.


Mais je ne me comporte pas bien avec le grand bonheur. Je mange à même de toutes mes forces. Une fois de plus je traitai le bonheur comme une chose inépuisable. Imprudente, ravie, je m’embarquai pour la France. C’était la fin de mai, j’allais à Paris pour rapporter à New-York toutes les nouveautés intéressantes de l’art moderne.

À Paris, je louai rue Vaneau un vieil hôtel dans un vieux jardin — beautés de la plus belle France. Je tournai un film d’avant-garde avec l’Herbier, Jacques Catelain, Philippe Hériat, Mac Orlan, Fernand Léger, Mallet Stevens L’Inhumaine. Ce travail me passionna — mais il serait plus vite fait de dire ce qui ne me passionne pas sur la terre.

Je ne songeais qu’aux activités qui m’attendaient en Amérique et à la grande tournée que mon manager organisait pour l’automne. Elle s’étendrait jusqu’à la côte au Pacifique.

On m’écrivait de New-York que je devais acheter un château — pied-à-terre en France de ma nouvelle famille-business. Je déteste la vie de château ; si j’avais trouvé une abbaye peut-être n’aurais-je pas résisté : dans la plus modeste, la meilleure vie est préparée… Par lettres on me donnait sans cesse d’importants conseils. En vérité chacun attendait quelque chose de moi. Les inévitables chaînes essayaient de se former — les plus légères — mais aussi les plus graves.

Et rien, vraiment rien de tout cela ne pouvait s’adapter à ma volonté, à mes désirs ni à ma morale personnelle. Je ne suis pas ferme à perles, à châteaux, à hermine — placements sûrs, beautés marchandes qui par cela ont perdu leur authentique valeur. Je ne réalisais pas l’idéal vedette que l’on atten-