Aller au contenu

Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/125

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
113
CONTE DE FÉES EN QUATRE MOIS

dait de moi, mais la ténacité de ma confiance ne s’arrêtait à aucun doute. Pour la réduire en miettes il fallut… une lettre. Une simple lettre aussi désolante que précise.

Le conte de fées avait duré quatre mois.


Pourtant je ne regrette rien. J’ai toujours su que j’obéissais à quelque chose de beaucoup plus grave que le bonheur. Je n’hésitai pas une seconde. Je crains le luxe qui ne descend pas de moi seule ; et s’il est facile de briser une union quelconque, je savais que je ne me dégagerais pas de l’emprise d’une parfaite bonté.



Je revins tout de suite à New-York. Ma tournée était préparée, je voulais tenir mes engagements. En arrivant au Fisk Building je vis que mon bureau était fermé. Les lettres d’or qui traçaient mon nom sur la porte ne brillaient plus. Mon manager ne venait que furtivement, ne sachant comment se débattre avec les réclamations et les notes. Un difficile problème se posait : de New-York au Pacifique des salles étaient louées. Résilier eût été une dépense impossible. Je décidai de partir quand même avec mon manager. C’était téméraire mais j’ai tenu malgré tout, avec le minimum d’argent. Jamais assez pour un affichage spécial, rien pour la publicité indispensable. Le succès seul a soutenu la tournée, il attira le public d’une ville à l’autre. Quand j’arrivai au bout j’avais eu tout le temps l’impression de vivre en équilibre sur une corde raide menacée de tous les côtés.

Mais les dieux furent pour moi. Le public américain, même mondain, garde toujours quelque chose d’universitaire à cause de son insatiable curiosité et de son emballement. De vieilles dames agitaient leur chapeau à bout de bras à la fin des concerts, comme pour les adieux aux paquebots. Dans les entractes les sympathies m’étouffaient, je ne parvenais pas à regagner ma loge où ma femme de chambre livrait un combat contre les amateurs de souvenirs. Mon manteau de soirée malencontreusement garni de plumes d’autruche di-