CHAPITRE PREMIER
PARIS. ― « SHADOW-BOXING. »
Je rentrai en France avec du New-York dans les cellules.
Jamais adaptée, j’étais maintenant désassortie. J’avais perdu
le sens de l’impossible. Autrefois j’allais dans les rues avec des
chapeaux catafalques, à présent mes vues plus amples ne
s’arrêtaient plus à moi, j’avais faim du gratte-ciel. On me
disait que j’avais un drôle d’air. Cet air-là, c’était l’exotisme
qu’on adore là-bas. On se maquille en lignes montantes,
parce que c’est « sophisticated », sourcils et coin d’œil sont
escarpés.
Je parlais mal l’anglais mais j’en rapportais l’accent. Mon français était émaillé de mots-véhicules, bourrés de sens et de nuances.
Beaucoup de défauts américains tombaient à pic avec ma nature, au point que je crois n’avoir pas été influencée mais retrempée en moi-même comme si le temps et la France m’avaient peu à peu déteinte — et que feraient le temps et les habitudes sinon cela ? Le verbe réagir est tout-puissant dans mon existence. En Amérique, on réagit comme on respire. Les Américains n’ont rien sur les épaules, rien entre la pensée et le geste.
À mon retour je croyais circuler dans une forêt pétrifiée. Malheureusement cette impression juste ne pénétrait pas