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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/139

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CHAPITRE III

BERNARD GRASSET : UNE PRÉFACE.



Pendant ces quatre années je fus comme une automobile qui ferait du cent cinquante à l’heure dans un garage fermé.

Subconsciemment je commençais à me rendre compte que je fuyais quelque chose, je n’étais pas encore en état de commencer une nouvelle vie. Je fuyais devant un mal que je ne parvenais pas à guérir parce que je ne le comprenais plus. Un ami me disait :

― « Vous ne retrouverez l’équilibre qu’en étudiant honnêtement ce que vous avez vécu et en essayant de l’écrire ».

Il avait raison, mais je savais que cela me serait affreusement pénible, et je retardai le plus longtemps possible de me mettre à l’ouvrage.

Qu’est-ce qui me tirait en arrière comme deux forces attachées à mes omoplates ? J’avais l’impression d’être une radio consciente qui, après avoir été longtemps branchée sur certaines ondes, serait soudain privée de fonctionnement.

Dix ans, depuis que ma vie avait été coupée en deux… J’ai un cœur au ralenti. Je ne connais pas l’oubli et je n’y crois pas. L’animal à quatre pattes n’oublie pas et l’animal humain non plus ; mais celui-là ne veut pas en avoir l’air. Certains voudraient enterrer le souvenir et il les hante. Les autres le dénigrent, d’autres rient par-dessus.

Rien de tout cela n’est vrai.